Passant sans complexe de la comédie cabotine à l’épopée héroïque en passant par les grands tableaux expressionnistes, le texte est un Moloch qui festoie des personnages, des lieux et du temps, le tout dans un joyeux chaos qui semble avoir même affecté le théâtre. Et plutôt que d’unifier, d’ordonner ce chaos, Michel Decar s’en fait le chantre en écrivant une pièce débordante d’imagination, de plaisir de la surenchère et d’un humour que ne désavoueraient pas les dadaïstes.
Jonas Jagow est une pièce difficile à résumer : la succession des scènes n’est pas linéaire, sa numérotation tout sauf logique ; les personnages apparaissent pour disparaître aussitôt ; on se trouve tantôt dans une boîte de nuit, tantôt dans un bunker réhabilité en galerie d’exposition. Seul Jonas Jagow, le personnage « principal » qui ne jure que par la destruction de Berlin, traverse de part en part cet œuvre inclassable et iconoclaste dont la seule constance est de persévérer dans l’inconstance, dans une fuite en avant vers le désordre et le chaos à laquelle même le théâtre ne saurait se soustraire.
Ainsi, graphie, narration et style varient sans cesse. À cet égard, le côté fragmentaire de la pièce fait songer au Woyzeck de Büchner, les titrages burlesques ne sont pas sans rappeler Brecht et le ton Jeff Koons de Rainald Goetz. La langue puissante et l’humour mordant ont de quoi surprendre chez un dramaturge aussi jeune, dont l’écriture parvient à saisir des pans de notre réalité par le biais de fulgurances qui relèvent plus de l’intuition que de la froide intellection. Et c’est bien cela qui distingue Michel Decar des autres auteurs de la nouvelle scène théâtrale allemande, en faisant par là même une nouvelle voix des plus prometteuses.
Traduction distinguée par la bourse Transfert Théâtral.