Dans une maison au milieu des champs, près de l’autoroute, Aurora vit avec sa mère Irene, une femme soucieuse et plaintive qui tricote toute la journée, et les « idiots », deux adolescents qu’elle a recueillis et qui passent leur temps à jouer à la console. Aurora travaille comme serveuse dans une station-service et doit supporter Jacquot, son patron, qui la vend aux camionneurs de passage pour la nuit et essaye lui-même d’abuser d’elle. L’argent manque dans cette famille et dans ce monde hostile et solitaire de la route, Aurora est une proie, à l’image des cerfs et des biches du pays que les hommes viennent chasser. À défaut de pouvoir partir, Aurora rêve de pouvoir se défendre. Malgré les protestations d’Irene, elle s’entraîne à tirer depuis le toit avec le fusil de son père décédé.
Des hommes mystérieux sont arrivés d’Amérique du Nord pour chasser les cerfs et installer une église près de la station-service. Ils sont la promesse d’une nouvelle activité, d’une rentrée d’argent possible, mais pour Aurora ils sont avant tout le présage de nouvelles violences dont le récit surgit de manière éparse et trouble tout le long de la pièce. Lorsque Jacquot vient la voir pour lui dire que ces hommes cherchent une fille pour qu’elle les prenne en photo avec leurs trophées de chasse, passe un peu de temps avec eux le soir et participe à leur petite fête, Aurora sait ce qui l’attend. Les idiots eux aussi ont compris quelque chose et sortent de leur stupeur adolescente pour devenir des remparts contre la menace de Jacquot.
Juste avant qu’Aurora ne se rende à la station-service, une biche s’approche de la maison. La jeune femme commence à lui parler et lui dit de s’en aller loin. Que va faire Aurora ? S’enfuir avec la biche comme lui disent les idiots ? Suivre Jacquot comme l’incite à le faire Irene, sa mère ? Avant de prendre une décision, avant que tout ne s’accélère, Aurora se met à danser avec les idiots sur la musique de cette fête qui bat au loin et qui nourrit la rage qui gronde en elle.
Lire notre entretien avec Emilia Fullana Lavatelli et Victoria Mariani à propos d'Aurora travaille et de Mariana de la Mata.
Mariana de la Mata est une autrice de théâtre qui captive. Comme de nombreux auteurs argentins issus de la génération « post-dictature », elle mêle travail de comédienne et écriture théâtrale, qu’elle pratique seule ou sous forme de créations collectives. Son écriture est pleine de vie, empreinte d’un fort sens du dialogue. Créant des fictions chargées de poésie, ses œuvres nous transportent loin du réalisme du quotidien.
Aurora travaille concentre cette singularité de l’écriture de Mariana de la Mata où drame et poésie se rejoignent. C’est une pièce politique et féministe. Mariana de la Mata s’appuie sur l’image de la chasse pour exposer les conséquences de la domination économique patriarcale ; Aurora se fait traquer comme un animal et la chasse devient une métaphore de la violence exercée par les hommes sur le corps des femmes dans un environnement rural de la pampa argentine sur laquelle plane une aura nord-américaine.
La pièce qui se déroule dans un milieu populaire, au bord d’une route, est traversée par une écriture de la violence, dans un registre familier mais dépourvu de visée naturaliste. La violence de la pièce est exacerbée par le traitement temporel de la rencontre d’Aurora avec les nouveaux venus. Aurora anticipe cet évènement à plusieurs reprises dans des monologues prononcés sur le toit de la maison et cette anticipation renforce le caractère inévitable de ce qui va arriver tout en permettant à Aurora de s’exprimer intimement.
Aurora travaille est une pièce qui appelle la scène, avec une dramaturgie qui se construit autour de la maison. Il y a un jeu entre l’intérieur à protéger, l’extérieur hostile et le toit qui est, pour Aurora, un espace de liberté où elle parle, danse, tire ; où elle devient puissante. Et alors que la métaphore de la chasse fait vibrer la pièce, Aurora n’accepte plus le statut de proie et répète sa volonté de pouvoir se défendre avec son fusil. La force de la pièce réside en ce que, petit à petit, se tisse la destruction de cette métaphore jusqu’à l’une des dernières phrases d’Aurora : « J’ai un fusil moi aussi, alors ce n’est pas une chasse, c’est une guerre entre deux camps armées. »