Résumé
Sous-titrée "à la manière de -en gros - Alfred Jarry", Baabou roi est une adaptation libre d'Ubu roi. L'action se déroule dans le pays fictif du Gouatouna, déchiré par une série de violents coups d'Etat sur fond d'intérêts pétroliers et de cleptocratie. Le Général Basha Bash est un minable petit soldat devenu chef d'état major pansu gr‚ce aux coups d'Etats successifs auxquels il a participé activement. Sa femme, Maariya, mi-Lady Macbeth mi-Mère Ubu, œuvre pour qu'il renverse le Général Potiprout. Lorsque débute la pièce, ce dernier vient de prendre le pouvoir avec l'aide de Basha. Gr‚ce aux manigances de Maariya et à l'opportunisme de l'entourage, Basha Bash dépose Potiprout et devient chef de l'Etat. Potiprout parvient à s'enfuir et Basha Bash est couronné roi par les représentants civils du défunt conseil, sous les vivats du peuple qui a profité des largesses de Maariya. Le deuxième acte met en scène le règne de Basha devenu Roi Baabou, avec ses lâchetés, ses excès, ses crimes et sa corruption, mais aussi ses goinfreries dignes de son "Opération Ventre Plein". Baabou s'entoure de charlatans pour connaître l'avenir de son règne car bientôt la guerre fait rage entre son armée et les fidèles de Potiprout : l'action se déplace ainsi sur les champs de bataille puis sur un camp pris aux "rebelles" où Baabou et Maariya, maintenant flanqués de leur fils, se livrent à des jeux pervers et macabres sur les prisonniers. Les prédictions fumeuses du Marabout sont avérées et Baabou meurt, comme le frère de Maariya, d'une overdose de "Rhinodisiaque". Potiprout et ses fils reprennent le pouvoir, suivis par les "fidèles" de Baabou qui retournent spontanément leur veste. La pièce se termine sur Maariya invectivant ces "charognards" et le public.
Regard du traducteur
Le nom de Basha Bash ne laisse aucun doute quant aux liens qui existent entre ce personnage fictif et l'ancien dictateur nigérian Sani Abacha (mort dans des circonstances similaires) qui avait contraint Soyinka à l'exil et avait envoyé au gibet l'écrivain et militant écologiste Ken Saro-Wiwa et ses huit compagnons. Le public nigérian peut facilement reconnaître de nombreux éléments de son histoire immédiate dans cette féroce pièce satirico-politique où se mêlent grotesque, horreur et facéties. Mais au-delà des frontières nigérianes ou même africaines, King Baabou peut se situer hors d'un cadre précis dans l'espace et dans le temps et ceci en raison de son caractère stylisé et parodique, de son rythme rapide et saccadé et de son énergie. Si le modèle principal dont se réclame Soyinka est Ubu, la pièce s'inspire également de Shakespeare et surtout de Macbeth que Jarry lui-même avait recyclée. Le Précepteur, l'un des nombreux opportunistes de la pièce, reprend par exemple un pan du discours de Marc Antoine dans Jules César pour convaincre la foule ou utilise les incantations des sorcières de Macbeth pour galvaniser les troupes de Baabou. Les nombreuses références intertextuelles qui émaillent Baabou roi -qu'elles soient tirées de comédies (dont le "Merdre" de Jarry qui ouvre la pièce) ou d'autres œuvres littéraires ou politiques- ont une fonction satirique, subversive et burlesque. Comme le dit Lady Maariya pour justifier les menaces qu'elle jure de mettre à exécution contre son mari : "Oh, maudite soit mon âme exaspérée si je n'ai pas été contaminée par le précepteur de mon fils qui n'en finit pas de sa gargariser de citations. Mon gros Sauna Suant [Basha] n'y a pas échappé non plus, mais lui c'est un vrai perroquet". Cette phrase illustre et justifie le mélange des genres et des styles, puisqu'elle explicite que Basha est limité intellectuellement, mais a une assez bonne mémoire pour être un bon perroquet. Ceci permet aussi à Soyinka de manipuler la langue à sa guise pour caricaturer son sinistre personnage (ou archétype grotesque du tyran) et à nous de mieux cerner ce langage hybride : Basha/Baabou répète des mots ronflants au milieu de banalités puériles, de vulgarités, d'impropriétés de langage et d'une grammaire limitée ou incorrecte. D'ailleurs, comme on l'apprend dans la scène du couronnement, Baabu signifie "rien" ou "terminé" en langue haoussa. Le roi Baabou est le "roi rien" ou "le rien devenu roi". Mais Baabou malmène la langue comme il malmène ses victimes. Et les scènes s'enchaînent dans un feu d'artifice de clichés, de slogans, de proverbes dévoyés, de mots estropiés, d'inepties, de débordements scatologiques prononcés par des tortionnaires grimaçants ou par des opportunistes patentés prêts à toutes les compromissions avec le pouvoir. Situations reconnaissables qui, stylisées, devraient permettre à beaucoup d'y reconnaître d'autres histoires immédiates.
Wole Soyinka est né en 1934 au Nigéria. Il a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1986.