Le narrateur (Pier Paolo Pasolini ?) décrit le ballet des voitures sur la plage d’Ostie, là où les hommes se rencontrent pour leur troc amoureux ; à partir de là, il se raconte, depuis son enfance avec un père officier fasciste et un frère tué par les partisans, jusqu’à son assassinat. Son récit est entrecoupé de madrigaux, chantant à chaque fois une partie du corps de l’amant (de la bouche jusqu’au cul). Pasolini parle des parias, des ragazzi du quartier pauvre de Rome ,
Un cri pourrait résumer la pièce: J'accuse. Mais pas n’importe comment. Pasolini, en l'occurrence, fait éclater dans des termes directs mais jamais crus son droit à l'homosexualité. Il dénonce la myopie et la médiocrité du petit-bourgeois pour qui l'amour du même sexe est un péché en soi, alors qu’il ne l’est que contre le conformisme, et non contre l'humanité. Cet amour du mâle pour le mâle n'a cependant rien d'individuel, l'amant aussi aimé soit-il, n'a pas de nom. L'anonymat est le meilleur aphrodisiaque.
Peut-être aussi parce que dans cette pièce, l’acte homosexuel se transcende et « symbolise » autre chose. En effet, il serait faux de croire que la revendication ne porte que sur la liberté de cet amour que d'aucuns trouvent "contre nature". L'amour homosexuel fait renaître un âge d'or, celui d’une pureté à jamais perdue. Les métaphores excessivement poétiques se nourrissent de la grande tradition du classique, du mythe et du sacré. L'homosexuel tel qu'il apparaît ici est souvent plus proche du Christ sacrifié que de
L'acte homosexuel est intimement mêlé à l'acte d'humanité: faire sortir de l'autre ce qu’il a en lui, ce qu'il y a de meilleur en lui, sa vérité à lui, comme le faisait Socrate, ce "génial possédé de l'Histoire". C'est dans la Borgata, la banlieue de Rome que le protagoniste trouve l'idéal humain d'hommes non souillés (mais hélas en passe de le devenir) par l'idéologie capitaliste, et non contaminés par une religion dégénérée qui… n’étreint plus l’homme que dans son cul (une des rares images crues de la pièce). Pasolini qui s’est imbibé du milieu de la Borgata, en a appris la langue et les gestes, fait découvrir à ces « parias » leur littérature, celle de leur propre tradition et de leur milieu ; il découvre leur beauté non contaminée par la publicité ou la télévision, non entachée d'idéaux factices brandis par des médiocres assoiffés de pouvoirs. Une fois encore, il extrait de ces hommes ce qu’il y a de plus pur en eux.
Le long plaidoyer est interrompu et scandé par des madrigaux chantés en italien, consacrés à tour de rôle à chaque organe investi dans l’acte d’amour. C’est dans ces madrigaux qu’éclate toute la puissance poético-métaphorique de Verhelst qui place ici la copulation sur l’autel sacré d’une nature encore pure.
La fin de la pièce campe une vaste orgie, farce sacrificielle organisée par les trois états de la société : noblesse, clergé, bourgeoisie. Tournés en dérision par eux, traînés dans la boue de leur propre sang, seize jeunes seront forcés de se soumettre à la volonté des dominateurs et de copuler comme des bêtes avant de mourir. Le pardon ne s’accorde que quand coule le sang.
Le style est pur et dur, laconique, précis, chaque mot est pesé. La résonance générale du texte est résolument virile. La voix du texte est aussi pure que l’Âge d’or enfoui et sacrifié sur l’autel du capitalisme, c’est-à-dire de la déchéance généralisée.
C’est sur le fumier de la Borgata que naissent les fleurs les plus immaculées.