Marta, le personnage principal de la pièce, est en pleine reconstruction après une grave dépression dont les causes sont multiples et il convient de ne pas les révéler ici pour ne pas divulgâcher le cœur du conflit. Avec son mari Andrei, elle a déménagé à la campagne où elle tente de retrouver un sens à sa vie en aidant un adolescent de cette région rurale à se cultiver, lire, ouvrir son esprit.
A l’occasion de la visite de Pavel, un vieux copain accompagné de sa petite amie Ioana, les véritables liens existants entre Marta, son mari et leur ami sont peu à peu révélés. La tension croît continuellement entre les quatre jusqu’à l’explosion du drame final. Dans l’ambiance de barbecue entre jeunes bobos s’installe une discussion à double fond autour de la viande/chair (la viande chassée au néolithique, la viande grillée sur le barbecue, la chair du corps de la femme blessée) et de l’estime de soi, de son propre corps, de sa propre chair. La tension arrive à son comble et la violence se déchaîne dans le final de la pièce quand l’ami Pavel attaque verbalement l’adolescent et pointe l’aveuglement de Marta, tandis que les secrets éclatent au grand jour.
J’ai apprécié la grande finesse de l’écriture de Maria Manolescu. Ses personnages sont intelligents, or on sait combien il est difficile d’en tenir les rênes sans les perdre. La dramaturge qui est aussi romancière parvient avec brio à éviter l’écueil de cette abdication. Le texte intitulé Chasseurs-cueilleurs nous met en présence de deux couples, d’une épreuve qui s’est transformée en vrai-faux-secret, et d’un dialogue dont l’intensité et la densité doublent les 35 pages de cette pièce. Le caractère tridimensionnel des personnages est déjà là, sur la page, car ils sont davantage que les mots qu’ils prononcent : ils disent, mais veulent dire aussi et supposent également. Dès le début de la pièce, chaque mot est lourd d’autre chose que ce qu’il semble dire.
Maria Manolescu apprécie le thème du travail et de l’asservissement qu’il peut entraîner, déjà traité dans un autre texte et abordé dans sa pièce la plus récente, Esclaves. Chasseurs-cueilleurs n’est pas une pièce sur le travail, mais bien davantage sur la réussite qu’on en attend, et surtout sur l’énormité absurde de l’attente que nos contemporains, et surtout les femmes, pense Maria Manolescu, investissent dans cette activité destinée à manger et à assurer l’équilibre de la société. Marta se remet d’une dépression. Très habilement, le thème de la place de chacun dans la société (et donc des relations de l’un à l’autre) est amené par l’ami, Pavel, qui raconte, dans une ambiance de garden-party entre bobos le documentaire dont il est la voix off et qui traite de l’homme du paléolithique. A l’inverse du chasseur de ces temps lointains, l’homme contemporain ne peut pas concevoir d’« Humilier la chair », un rituel qui dans les temps anciens, permettait la survie du chasseur à son retour dans la communauté. Il ne peut pas rabaisser la valeur de sa chasse, de son travail personnel, autrement dit de sa valeur personnelle, et c’est ce qui amène certains à souffrir au travail. Dans le texte, la « chair » est d’abord la viande, celle qu’ils consomment, puis elle devient la « chair », celle du gibier chassé au paléolithique mais aussi, en sous-texte, la chair meurtrie des hommes et des femmes.