Amérique des années 50, quelque part sur le golfe du Mexique. Une chambre d’hôtel et un couple improbable : l’homme, Chance Wayne, beau et jeune, revient dans sa ville natale, sans la gloire dont il rêvait, son but, retrouver son premier et unique amour, Céleste Finley, la fille de Boss Finley, politicien ambitieux, raciste et sans scrupule. La femme, Alexandra del Lago, dite Princesse, star vieillissante, sombrée dans l’oubli, a fui le cinéma où était projeté le film de son « come back ». C’est en bas de l’escalier où elle s’était échouée que Chance l’a ramassée. Dans la Cadillac de Princesse, ils ont roulé vers le Sud… C’est le matin de Pâques. Vapeurs d’alcool et de drogue, désespoir et rage de vivre… Un marché : Chance demande à Princesse de l’aider à devenir une star ; Princesse exige de Chance qu’il la paie en nature… Dans la petite ville, le retour de Chance Wayne produit un véritable électrochoc. Le soir même, Boss Finley doit tenir un meeting politique. Il compte y célébrer la jeunesse blanche du Sud, faire taire la rumeur de la castration de sa fille Céleste et calmer l’opinion au sujet du lynchage d’un jeune noir, traitement dont il est l’instigateur. Il exige que Céleste paraisse à son bras. Devant son refus, il menace : si Chance ne quitte pas la ville, il sera castré. Céleste a été mise à mal dans sa chair par Scudder, médecin véreux, qu’elle doit épouser. Elle cède au chantage. Le meeting tourne à l’émeute…Le film de Princesse est un triomphe, elle retrouve aussitôt sa splendeur et oublie toutes ses promesses. Chance a perdu. Resté seul, il attend les sbires de Boss Finley et renonce à se battre, définitivement vaincu. En chacun de nous le temps est le grand ennemi, le maître implacable. Il ne reste à Chance qu’à attendre son heure…
Le théâtre de Tennessee Williams traite avant tout de destins individuels, mais il comporte aussi le plus souvent quelque aspect social lié à l’histoire des Etats-Unis. Ce qui est singulier dans Doux oiseau de jeunesse, c’est la dimension ouvertement politique qui surgit en plein cœur du récit avec Boss Finley, archétype de despote à l’américaine dont les Etats du Sud ont sans doute connu nombre de cas. Autoritaire, puritain, sexiste, paternaliste, dévoré d’ambition et pour couronner le tout évangéliste, il n’est pas sans évoquer l’actuel président des Etats-Unis. Mais les idées comme les discours de Boss Finley portent bien la marque des années cinquante avec leur climat de haine raciale et de ségrégation criminelle. Les deux personnages principaux de Doux oiseau de Jeunesse sont de toute évidence conçus pour séduire et captiver : des créatures de rêve, Princesse et Chance… Princesse Kosmonopolis, alias Alexandra del Lago, notre goût de la fiction est aussitôt éveillé… Cependant, la stratégie paradoxale de l’auteur ne s’arrête pas là ; son héroïne est une star, mais menacée et fragile ; Chance a tout pour réussir, mais il ne cesse de courir en vain après sa fortune. Deux monstres d’avidité et d’égoïsme avec pour seule excuse un charme irrésistible conjugué à une rage de vivre et d’aimer sans laquelle, dans cet univers passionnel, un être humain n’a plus qu’à disparaître ou à mourir. Chacun des deux veut arracher à l’autre ce qui lui manque, ce que, en réalité, ni l’un ni l’autre ne possèdent : l’éternité de la jeunesse et la maîtrise du temps. La cause est illusoire mais le combat d’une folle intensité. Pour finir, Chance est à terre et Princesse semble triompher, ils se séparent, mais ils n’ont sans doute jamais été aussi proches. Cette histoire qui a le cinéma pour toile de fond en dit long sur l’évolution de notre culture jusqu’à aujourd’hui. Star-système, culte de la jeunesse et de la réussite, argent-roi, corps marchandise, tous ces caractères et travers de ce qu’on a appelé la société du spectacle sont ici en germe. La sensibilité et la lucidité de Tennessee Williams touchent à une sorte de prémonition. Pourtant il se garde bien de tout jugement ou prise de position idéologique. La pièce : des paroles et des actes qui à eux seuls font à la fois sens et mystère. On est frappé par l’ambiguïté comme par la sincérité des pensées et des sentiments, par l’âpreté et la violence de l’expression, mais aussi par la délicatesse, la pudeur, la dignité de ces êtres de fiction auxquels Tennessee Williams prend soin de laisser toujours une chance. Les didascalies sont le plus souvent précises et concrètes, mais parfois étrangement lyriques. C’est une indication précieuse : si l’on est d’abord requis par l’aspect de nature et de réalité de la pièce, il serait réducteur de n’y voir que cette dimension prosaïque.