Arty est l’adolescent le plus lourd du monde, même s’il précise qu’il n’a pas cherché à le devenir. Dorloté par sa mère, Jojo, depuis son plus jeune âge, il ne sort plus de chez lui. Dans la vie qu’il s’invente dans sa tête, il est un aventurier intrépide, un grand showman, un séducteur. Lui et sa mère ont accepté de participer à l’émission de télé « C’est énorme » qui suit le parcours de personnes obèses dans la construction d’une identité nouvelle. Accompagné par Louise, de l’agence « En route vers l’emploi », il se prépare à recevoir le by-pass qui va changer sa vie. Mais sa mère s’avère finalement réfractaire au changement, elle a peur de perdre son Artichou et voit d’un très mauvais œil le rapprochement entre son fils et la jeune femme. Mis en scène par l’équipe de tournage, les trois personnages tentent tant bien que mal de démêler leurs désirs et leurs aspirations tandis que le pauvre Arty, balloté entre toutes ces influences, s’efforce de contenter tout le monde et de trouver sa voie.
Critique de la spectacularisation des corps et questionnement sur le regard de notre société sur l’obésité et plus généralement, sur la différence, Échoué est une pièce dérangeante, provocatrice et audacieuse. Melissa Bubnic n’hésite pas à grossir le trait, jusqu’au burlesque, pour parler de la manipulation des médias, de leur emprise sur notre quotidien, de leur influence sur l’image que nous avons de nous-mêmes. D’une plume acerbe et sans concession, elle croque des personnages drôles, mesquins, cruels : de la mère étouffante, à la petite fonctionnaire à l’esprit étroit, en passant par le/la producteur.ice sans pitié. Arty, son héros, est, quant à lui, touchant de vulnérabilité, pareil à un Elephant Man récupéré par des forains modernes afin d’être exhibé devant un public toujours avide de faits divers.
La forme, un compte à rebours haletant, nous pousse à lire le texte d’une traite et à l’engloutir aussi vite qu’Arty s’enfile des beignets à la crème. Entre le décompte des jours et le calcul des kilos à perdre, le jeune homme s’imagine une autre vie à travers ses voyages intérieurs, envolées lyriques, jeux d’enfants. Ces moments lui permettent d’échapper brièvement à sa réalité et à son corps, de préserver ses rêves et sa naïveté pour exister hors du moule que la société lui impose.
On sent que Melissa Bubnic a des comptes à régler. Elle le fait avec rage mais jamais sans humour. Elle a plusieurs fois confié que cette pièce lui tenait particulièrement à cœur, sans doute parce que le sujet de l’obésité est trop rarement abordé, notamment au théâtre. Peut-être aussi parce que son héros représente à lui seul tous les exclus de la Terre.
En choisissant de créer un personnage pesant plus de quatre cents kilos, l’autrice, toujours fascinée par le thème du « monstre », nous pousse à faire face à notre propre voyeurisme, nos propres a priori. Le traitement non réaliste imposé par le texte transforme ainsi le poids en métaphore, Melissa Bubnic nous invite à contempler notre propre démesure, nos excès et l’absurdité de nos vies.
Arty est sauvé par son âme d’enfant, sa gentillesse, mais sera-t-il vraiment heureux dans son nouveau corps, lui qui n’est peut-être tout simplement pas fait pour ce monde ?