La pièce fait partie de la « Trilogie américaine » autour de la Conquête de l’Amérique.
Comme souvent chez l’auteur, le théâtre est ici lieu de mémoire.
Et comme toujours chez lui, il y a une théâtralité éclatée où les mises en abîme se superposent.
Le théâtre de foire permet à l’auteur de mêler le récit épique au comique des situations, le grotesque traverse la pièce jusqu’à son issue tragique.
Il y a, avant tout, une langue. Une langue qui se veut héritière de Cervantès, charnelle, chaleureuse, imagée.
Car l’auteur fait monter sur les planches deux personnages chers à Cervantès : Chirinos et Chanfalla du « Retable des merveilles». Ils reviennent avec leur espièglerie, leur langage savoureux et impertinent, même s’ils ont un peu pris de l’âge. Nous sommes avec eux en Espagne, à la fin du XVI siècle : l’Inquisition sévit, la misère règne.
Il y a aussi Don Rodrigue, qui est revenu des Amériques avec les yeux encore douloureux du spectacle des nombreuses exactions commises par les Espagnols, en amenant avec lui une Indienne, Ombre, avec laquelle il parle le nahuatl. Cette langue prend une dimension d’étrangeté toute particulière sur le plateau. Elle est la métaphore de l’Autre, de l’inconnu.
Car, en effet, don Rodrigue, personnage dérisoire et tragique, a fait la rencontre de l’Autre, il a appris à l’aimer et à le respecter. Il conjugue la fascination pour l’Etranger et la responsabilité éthique vis-vis de lui.
Tel un Don Quichotte, Don Rodrigue poursuit une chimère : monter une expédition avec l’aide de quelques notables fortunés et repartir à la recherche des trésors d’Eldorado pour «guérir le Nouveau Monde de la désolation que le Vieux lui a causé», dira-t-il.
Chirines et Chanfaille, poussés par un intérêt plus matériel, vont aider don Rodrigue dans sa folle entreprise. Par la simple illusion théâtrale, comme jadis dans « Le retable des merveilles », ils entreprennent de donner à voir le spectacle fabuleux des richesses d’Eldorado. Et le récit de ces innombrables richesses sera entrecoupé par la description des innombrables crimes commis par les conquistadors et de l’extrême misère qui a poussé certains hommes à défier les océans.
Des dizaines de personnages vont défiler qui prennent part au récit des tribulations des oubliés de l’histoire des deux côtés de l’océan.
Un rythme endiablé, des rebondissements et des retournements de situation, des rimes qui bousculent la prose pour un voyage dont on ne revient pas indemne.
La pièce évoque la légende d’Eldorado, la spoliation du continent américain et la réalité sociale de l’Espagne au XVI siècle.
Elle nous parle des hommes et de leur rapport à l’Autre, à l’étranger. Et des rapports entre la réalité et sa représentation.
Elle nous parle à nous, aujourd’hui, dans le monde où nous vivons.
Lieu et temps de l’action ? « L’ici et maintenant de la représentation », nous dit José Sanchis Sinisterra.