Tout part d’un fourche-langue classique en allemand, comparable aux chaussettes de l’archiduchesse dont on ne sait si elles sont sèches, voire archi-sèches. Sauf qu’ici, il s’agit du fils d’un pêcheur professionnel prénommé Fritz vivant au fin fond de la Bavière, qui s’évertue à attraper du poisson frais mais qui, victime d’un accident cérébral, ne peut plus assouvir sa passion. Son propre fils, Franz (car né le jour de la Saint-François), coiffeur à Munich, en relation délicate avec son père, ne parvient pas à faire entrer celui-ci dans un Ehpad. Seule solution : une jeune aide-soignante importée de Pologne, parlant l’allemand à peu près et dévouée à son travail. Pendant le voyage, celle-ci s’entiche de Borys, le chauffeur du minibus avec qui elle va échanger force textos en polonais.
Piotra s’occupe bien de Monsieur Fritz, l’aide comme elle peut et prépare de bons plats de poisson. Franz vient tous les lundis faire les courses et distraire son père.
Pendant cet été caniculaire, Fritz craint pour les poissons de la rivière qui coule le long de son jardin, au point de s’extirper un petit matin de son lit et, à l’aide du déambulateur, d’avancer jusqu’à l’eau. Alors qu’il veut vérifier le niveau de l’eau, le déambulateur lui échappe et il tombe sur la rampe de béton. Piotra se rend compte de son absence et le retrouve au bord de l’eau, saignant de la tête, inconscient. Elle appelle les secours, Borys et Franz. Fritz est transporté à l’hôpital où il meurt quelques jours plus tard. Borys vient pour ramener Piotra, pétrie de culpabilité, en Pologne. Franz est soulagé.
Le qualificatif de « Sprechtheater », théâtre de parole, que l’auteure donne à sa pièce indique d’emblée l’importance de la langue, des langues, et de la musicalité du texte. Truffé de casse-langues, d’expressions proverbiales, de chansons en polonais ou en anglais, de passages en langage médical ou pharmaceutique, de termes techniques de la pisciculture, le texte résonne de multiples nuances. Les différences entre les trois personnages – Fritz, Franz et Piotra – se dessinent souvent grâce à leur manière de parler, au lexique qu’ils utilisent et qui révèle assez précisément leurs origines, quels que soient les personnages que l’acteur ou l’actrice endossent.
L’empathie de l’auteure avec le monde qu’elle dépeint est manifeste, de même que son plaisir à jouer avec ses personnages et leur désir de ne pas se laisser écraser par le poids d’une campagne très arriérée. Le quotidien prend toute sa place, certes, mais il est percuté par les échappées quasi poétiques des personnages. Ceux-ci restent localisés dans le sud de l’Allemagne, - le dialecte bavarois est rendu dans la traduction par un parler familier non marqué géographiquement – ce qui permet aux personnages de voyager au-delà de l’allemand. Et les casse-langues sont transposés de l'allemand et du polonais en français.