Une explosion -la terreur blanche- a détruit l'usine du Fils du milliardaire, où les bénéfices étaient répartis entre les ouvriers. Le gaz qu'on y produisait, une source d'énergie prodigieusement puissante, alimentait le monde entier. Comprenant que le progrès technique mène à l'impasse, le Fils propose un retour à la terre, mais se heurte à l'incompréhension de ses collaborateurs. Les grands patrons de l'industrie exigent la réouverture de l'usine. Les ouvriers, qui se lamentent d'être robotisés par leur travail, s'opposent pourtant aux projets du Fils de devenir "paysans", et souhaitent retourner à l'usine, "d'explosion en explosion". Le Fils est dépossédé de son entreprise par l'Etat qui a besoin du Gaz pour une guerre imminente. Seule lueur d'espoir, sa fille déclare vouloir mettre au monde "l'homme nouveau"
Le Corail nous montrait l'individu solitaire en fuite devant "l'horreur noire" de la misère. Dans Gaz, ce problème est virtuellement résolu par un système de répartition des gains entre tous. Survient alors le drame de toute une société face à la "terreur blanche", c'est-à-dire aux dangers de l'évolution technique.
Cette pièce, écrite en 1917, le cœur de la trilogie du même nom, est d'une étonnante force prémonitoire :
1. Le Kaiser prévoit la découverte d'une source d'énergie formidable qui s'appelle "Gaz", comparable au nucléaire, alimentant l'industrie du monde entier, mais pouvant aussi servir à des fins militaires,
2. Or, les catastrophes techniques sont inévitables ; tout système rationnel comporte nécessairement sa part inéluctable d'irrationnel : "la formule joue et ne joue pas" ! Plus l'énergie en jeu est puissante, plus grandes seront les catastrophes,
3. Quelques idéalistes (ici, le Fils du Milliardaire) prônent, comme seul remède, le "retour à la terre", la solution écologique,
4. L'échec prévisible de cette idée est notamment imputable aux ouvriers eux-mêmes, qui refusent de renoncer à un travail dont ils disaient pourtant, dans de poignants discours, combien il les transformait en robots,
5. A cela s'ajoutent, bien sûr, les pressions exercées par les industriels capitalistes, par l'Etat, l'armée et la police,
Bref, il s'agit d'une pièce unique, irremplaçable dans le concert du théâtre universel.