Treize ouvriers agricoles sont enfermés dans une grange, avec pour tâche de stocker la récolte de foin. Le travail doit être fini à six heures du soir, mais on sent dès le début de la pièce qu'ils n'y arriveront pas. Une partie du foin est mouillée, on craint que la fermentation provoque un incendie. Cette crainte est renforcée quand certains personnages se mettent à fumer. Un des ouvriers, envoyé sonder le tas pour voir s'il y a beaucoup de foin mouillé, est porté disparu pendant tout un acte. Jaloux d'un garçon qui s'est caché à plusieurs reprises dans le foin avec certaines des femmes présentes, un autre ouvrier le tue d'un coup de fourche. L'ouvrier disparu réapparaît, déclare qu'il a trouvé une sortie et entraîne les autres à sa suite tandis que le foin, la grange, le théâtre prennent feu. L'ensemble est ponctué de neuf monologues philosophiques délirants et de neuf chansons.
On a tous les ingrédients d'une pièce naturaliste qui sonnerait presque comme un mot d'ordre et comme la promesse d'un hymne à la gloire du kolkhoze dans la meilleure veine du réalisme soviétique. Bien entendu, ce n'est pas du tout cela, et la pièce, annoncée comme "parodique", nous plonge dans une atmosphère troublante, absurde et comique. Notons le réalisme des dialogues (langage populaire, répétitions, phrases mal comprises, chevauchement de plusieurs conversations) ainsi que les éléments insolites que représente les 9 longs monologues qui ponctuent la pièce et les 9 chansons qui les suivent. On a la sensation d'un courant d'énergie qui avance en permanence tout au long de la pièce. Les dialogues, les monologues et les chansons travaillent vraiment ensemble. Il y a le rythme oratoire des monologues ; le traitement abstrait et musical des dialogues. Il y a enfin les chansons, moment calme. Au total, on retire de cette pièce à l'architecture symphonique le sentiment d'un déroulement inexorable, d'une nécessité et d'une urgence dans le temps théâtral qui m'ont impressionné à chacune des mes lectures.