Un jeune homme quitte la maison familiale pour "faire son entrée dans le monde" : dans sa poche, les sept talents d'or que lui ont confié ses parents et qui se nomment Prudence, Modération, Courage, Justice, Probité, Amour, Espérance. En chemin, il rencontre un Tailleur de pierres qui, après avoir menacé de le dépouiller, lui confie, à son tour, une étrange mission : porter jusqu'à son atelier une pierre apparemment sans valeur. Ayant accepté la tâche, et à mesure que la pierre grossit jusqu'à l'écraser, le voyageur fera diverses rencontres de fortune qui l'inciteront à interroger les mécanismes de l'oppression et du mensonge social, et à reconquérir sa liberté de choix et d'action au moment même où tout paraissait perdu.
Tout homme doit travailler ou trafiquer pour de l'argent Pour acheter nourriture et toit à sa famille Le Profit Maximum est le roi de cette jungle Et ainsi les vices deviennent vertus ! Conclusion ? Quand la gorge du juge est tranchée C'est sa propre loi qui s'en charge ! Ecrite en 1976 à la demande de Gay Sweatshop, compagnie de théâtre londonnienne animée par des artistes militant pour les droits des homosexuels, La pierre (Stone) s'inscrit dans un cycle de pièces courtes aux styles très divers où Bond s'interrogeait à l'époque sur son rôle d'écrivain de théâtre, en testant tout un ensemble de formes propres à renouveler le théâtre politique de son temps et à contrer la tradition brechtienne de la pièce didactique. Après avoir écrit des œuvres contre l'apartheid, la prolifération des armes nucléaires et l'impérialisme américain, Bond propose ici une parabole visant à décrire les nouvelles formes de l'aliénation, en dévoilant les mécanismes de l'oppression moderne. En effet, dit-il, on peut apprécier le degré de civilisation d'une société selon l'attitude qu'elle adopte vis-à-vis de l'homosexualité – sauf qu'on pourrait en dire autant de son antisémitisme, de sa législation pénale, de son droit du travail, et de tant d'autres sujets encore. Pour conférer une énergie théâtrale à ces réflexions théoriques, il entrelace avec une liberté réjouissante diverses traditions théâtrales européennes : la Moralité du Moyen-Age, où un choix d'existence se présente à un personnage unique incarnant Monsieur Tout-le-Monde, dont le cheminement intérieur se matérialise dans un trajet symbolique au cours duquel il rencontrera des adjuvants et des opposants, forces à la fois matérielles et symboliques qui oeuvrent à infléchir son jugement – et le théâtre d'agit-prop tel qu'il fut en particulier pratiqué et théorisé dans la Russie soviétique entre les deux guerres, spectacle mobile d'intervention "choc" reposant sur les techniques de théâtre populaire de rue et de cabaret, dont Brecht lui aussi maniait les libertés dans son recours au montage et à la distanciation. Mais ici, Bond renvoie dos à dos le catéchisme évangélisateur et le prêchi-prêcha neo-marxiste : pour raconter l'aliénation des nouveaux fils perdus d'une société prodigue, il propose un conte animé où les images et les événements les plus énigmatiques se succèdent et s'entrechoquent, dans une danse de vie à la fois burlesque et angoissante où c'est l'affirmation de soi et de la liberté qui triomphe des forces ténébreuses et confuses de l'argent et de l'injustice sociale. En cela, La pierre est aussi une exaltation passionnée du théâtre, où la communauté humaine se rassemble autour d'une création en forme d'histoire, afin de forger les outils de son destin.