Raditchkov puise son sujet dans la mythologie chrétienne, dans le thème du riche et du pauvre Lazare. Dans cette variation du sujet évangélique, Raditchkov introduit un nouveau personnage, celui du poirier sauvage, qui est en même temps le lieu de l'action. Lazare veut tuer son "frère" le chien, mais paradoxalement, il lui offre un plus grand bien : la liberté. Voulant tirer sur le chien, il ne fait que rompre la chaîne qui le gardait prisonnier. Ainsi, Lazare est forcé de rester dans l'arbre jusqu'à la fin de sa vie, prisonnier de sa propre gaucherie, craignant de tomber désormais sous la dent du chien enragé. Ce poirier ordinaire devient pour lui le lieu de l'accomplissement de son destin. Il n'est pas difficile de relever dans cet arbre du destin l'image mythologique de l'arbre cosmique, l'arbre de vie.
Traduire Lazaritsa en langue étrangère représente un véritable défi pour tout traducteur, comme l'est d'ailleurs l'ensemble de l'oeuvre de Raditchkov considéré à juste titre comme un phénomène aussi bien dans la littérature bulgare, que dans la littérature européenne en général. Chef d'oeuvre incontestable, ce monodrame philosophique (ou plutôt fable proche des mystères médiévaux) confronte le traducteur non seulement à la langue infiniment riche de Raditchkov, qui puise sa beauté et son originalité dans la rencontre inattendue entre le langage du conte populaire et la langue moderne, mais aussi au "jeu" intellectuel de cet écrivain avec les archétypes et les sujets bibliques qui oscillent entre l'universel-mythologique et le réel-quotidien. La liberté de Raditchkov à l'égard de l'élément traditionnel tient de l'insolence et d'une certaine forme de hardiesse : il exploite, au sens propre, les thèmes nationaux et universels, et cette attitude détermine un jeu qui caractérise l'originalité de l'écriture de cet auteur.
Dans le "sous-titre" de la pièce il est mentionné "Pièce en quatre saisons" - printemps, été, automne, hiver. Ainsi, le spectateur fait connaissance avec Lazare au printemps de sa vie et en traversant les saisons de son existence, il se sépare d'un vieillard agonisant, en plein hiver glacial. Dans ce monodrame existentiel, le personnage principal exécute sa "danse de Lazare" sur l'arbre de vie et de la connaissance et pose, ainsi, la question de l'existence de l'homme par rapport au cours du temps. La discussion vaine qu'il mène du haut du poirier avec son chien (ou bien avec le temps) peut être considérée comme une réplique de l'éternel duel entre l'Homme et le Destin, comme une image complexe de la recherche de la connaissance et de la vérité.
Lazaritsa ou la danse de Lazare de Raditchkov est un regard sur le drame existentiel. Dans la tradition populaire le nom de Lazare, comme un enjeu de prospérité et de bien-être, est lié aux danses rituelles qu'on joue chaque printemps - résonnance mythique de la philosophie carnavalesque la plus optimiste du monde, proche des saturnales en Grèce Antique ou des légendes égyptiennes d'Osiris - une philosophie vieille comme la terre même... Dans la pièce de Raditchkov cette danse est la projection de la parabole existentielle - Lazare "achève sa danse de Lazare", arrive à l'hiver et entre dans l'au-delà. Sa voie est de par sa nature tragique. Comparaison faite avec le Lazare biblique, il ne meurt pas pour, ensuite, ressurgir. Il ne meurt pas car dans l'arbre de vie il n'y a pas de mort. Sa mort n'est que dans le rêve du chien - déjà son ennemi. Il devient tout simplement "l'éternel Lazare". Et c'est son destin mythologique heureux.