Nous. Bellywood est un montage de différents textes écrits par plusieurs jeunes auteurs de Biélorussie, russophones aussi bien que biélorussianophones : Verbatim ou Arnaques, crimes et alcooliques et Une question de principe de Pavel Rassolko, L’Ami ou une infirmière pour un défunt de Constantin Stechik, Patrie N°2 et Bellywood de Pavel Priajko, s’enchâssent ou se suivent au sein de deux parties, Nous. Identification et Bellywood.
En montrant des personnages dénués d’avenir et au langage déstructuré, la pièce cherche à donner une représentation réaliste de la société biélorussienne dans tout ce qu’elle transpire de mal être, de dénis et de mensonges, allant ainsi à l’encontre des expertises idéologiques et sociales du gouvernement.
Une des principales questions que pose le montage Nous. Bellywood est : « Qu’est-ce qui fait qu’un être humain peut être tenté de se suicider ? » Le meurtre d’un de ses meilleurs amis ou une brèche sur l’écran de son téléphone portable peuvent être aujourd’hui perçus en Biélorussie comme des raisons suffisantes, à part égale, pour désirer fuir les réalités, dans un contexte où toute une jeunesse, privée d’avenir, est ici conviée à réfléchir sur sa propre dérive. Dans un contexte où les rêves de démocratie ont été recouverts par la mise en place d’une dictature et où le sentiment partagé par de nombreux intellectuels est celui d’avoir été témoins d’une indépendance usurpée, la question de savoir si on est maître chez soi – telle que la pose Patrie N° 2, de Pavel Priajko, ou Une affaire de principe, de Pavel Rassolko, en ironisant sur le discours marxiste ou en montrant toute la perversité des rapports humains au sein de la société biélorussienne -, acquiert toute sa pertinence. Qui est le maître, qui est l'esclave ? Comment en vient-on à se soumettre, et à qui ? Quel sens doit-on donner au mot liberté ?
C’est ce même ensemble de questions qui, dans Verbatim ou Arnaques, crimes et alcooliques de Pavel Rassolko, est encadré par un travail de création dramaturgique mené à partir de propos recueillis parmi les ouvriers du grand chantier de la nouvelle Bibliothèque nationale de Minsk. Agissant comme par contraste avec les discours présidentiels qui ont idéalisé l’harmonie et l’intelligence de la société biélorussienne à l’heure de ces « grands travaux », menés tambours battants par le dictateur Aliaksandr Loukachenka, le texte provoque son lecteur, le choque aussi parfois par sa grossièreté. Et s’il entend ainsi se démarquer du caractère prude et consensuel des pièces du répertoire officiel, c’est encore pour mieux aborder la question des rapports de domination économiques, sociaux, politiques et sexuels qui traversent réellement la société biélorussienne Opposant un effet de réalité aux discours de propagande du pouvoir sur le peuple soumis, tolérant et laborieux de Biélorussie, le texte, tout comme Bellywood, de Pavel Priajko, donne à voir la misère économique et intellectuelle de la société des petites gens qui votent les yeux fermés pour le président. Mais encore, ils savent se jouer jusqu’à l’absurde des mélanges entre langues biélorussienne et russe (les deux langues officielles du pays) ainsi que des enchevêtrements entre niveaux de langue pour illustrer le marasme intellectuel dans lequel se trouve la Biélorussie contemporaine. Dans Nous. Bellywood, en effet, les auteurs puisent dans les potentialités scéniques qu’offre la langue réelle de la population : cette langue non normée, faite de mélanges entre le russe et le biélorussien et qui porte, en Biélorussie, le nom de trasianka. En présentant des personnages dénués d’avenir et au langage déstructuré, le Théâtre libre travaille à donner une représentation réaliste de la société biélorussienne dans tout ce qu’elle transpire de mal-être, de dénis et de mensonges, allant ainsi à contre-courant des expertises idéologiques et sociales du gouvernement.
Le protagoniste principal de Bellywood, de Pavel Priajko, est aussi un Orphée biélorussien que fait muter la réalité présente en une créature incapable de vivre ou de mourir : un texte qui cherche à interroger et à déconstruire les mythes et les stéréotypes propres à la société biélorussienne contemporaine en s’appuyant sur des matériaux pris à la vie quotidienne ou aux chaînes de la télévision d’État, à des observations consignées au jour le jour, à des histoires de vie et de mort d’amis. Bellywood souligne le sentiment de claustrophobie qui se dégage des relations sociales dans la société biélorussienne contemporaine pour faire ressurgir le désir de s’en émanciper, de se découvrir et de se sauver soi-même. Les personnages y ressemblent à des prisonniers inconscients de leur enfermement, piégés dans l'attente d'une amnistie salvatrice.