Gaetano, un homme de trente ans, est le fils du boss Spennacore (Plum’queues de poulets) : il vit reclus dans une maison en ruine, dont la tristesse est accablante, tout en gardant le bunker où se cache son père, un assassin recherché à la fois par la police et par des clans rivaux. Gaetano fait irruption dans cette maison délabrée durant une nuit de tempête accompagné d’un jeune garçon qui n’a aucun souvenir de lui-même : il ne sait pas où il vit, où il habite, il ne connaît rien de son passé, de sa naissance. Ce garçon, Piccerì (P’tit gars), n’est autre que le frère jamais né de Gaetano, l’alter ego qu’il s’est créé, qu’il a mis au monde après tant d’années pour supporter de cohabiter avec un méfait terrible et plus encore avec la cause de tout, son père. En effet, vingt ans plus tôt, Spennacore, au cours d’un orage d’été, a tué sa femme surprise en flagrant délit d’adultère, sous les yeux du petit Gaetano, qui, par peur de l’orage et craignant de pleurer sous les yeux sévères de son père, s’était dissimulé dans une armoire. En tuant sa femme, Spennacore a tué aussi l’enfant qu’elle portait : Piccerì.
Vingt ans plus tard, Gaetano décide de se venger en se suicidant dans le bunker — qui ne peut être ouvert que de l’extérieur — où vit son père Spennacore : ce dernier reste enfermé à l’intérieur, à l’insu de tous, condamné à dévorer la carcasse de son fils, avant de mourir de privations et de faim.
Dans une langue très personnelle, Mimmo Borrelli fait appel au mythe qu’il recompose de façon tout à fait originale, pour raconter une histoire résolument contemporaine. Ce très jeune auteur phlégréen invente une langue sophistiquée et baroque en fondant ensemble les formes les plus archaïques de quatre dialectes. Il recrée ainsi une sorte de parlésie, d’argot que les gens de la camorra et de la mafia utilisent pour ne pas être compris. Borrelli crée donc une forme unique qui ne se résume pas à un simple support de l’histoire.
L’écriture particulière de Mimmo Borrelli met en scène la violence d’un drame à travers les récits qu’en font deux ou trois personnages, tous très singuliers. La constitution d’un décor particulier, une sorte d’antre ou de grotte, plus encore que la salle d’un ancien palais, joue comme une conscience noircie par sa propre histoire et celle du protagoniste principal qui essaie d’en sonder les fissures. La langue structure — à travers la force très formalisée d’un dialecte noué et serré — les axes complexes des explications, et redouble la densité dramatique par les diverses tonalités qu’elle emprunte. Le travail de traduction requiert un acharnement qui, au-delà de la compréhension d’une langue souvent obscurément baroque, parvient à rendre la puissance mouvementée qui l’agite, qui la boursoufle, et qui en fait un drame parallèle.