Vient un nuage

de Jens Raschke

Traduit de l'allemand par Antoine Palévody

Avec le soutien de la MAV

Écriture

  • Pays d'origine : Allemagne
  • Titre original : Kommt eine Wolke
  • Date d'écriture : 2018
  • Date de traduction : 2025

La pièce

  • Genre : Jeune public
  • Nombre de personnages :
    • 3 au total
    • 2 homme(s)
    • 1 femme(s)
  • Durée approximative : 50 mn
  • Création :
    • Période : 2018
    • Lieu : Theater Osnabrück
  • Domaine : protégé

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

Un village au bord de la mer du Nord, dans un passé lointain. La vieille Stine habite une cabane sur la côte, à l’écart du village. Les villageois préfèrent l’éviter : ils la croient folle depuis qu’elle affirme que ses deux amis d’enfance Fiete et Gonne, morts noyés à l’âge de 8 et 9 ans, sont revenus. Peut-être préféreraient-ils oublier cet événement tragique, ce jour où le village tout entier a laissé deux enfants se faire emporter par la mer. Fiete et Gonne, qui n’ont pas pris une ride, et toujours habillés de leurs habits d’été, vivent dans la cabane avec Stine, riant, jouant et grelotant avec elle dans le froid.

La pièce commence par un matin d’hiver. « Il va se passer quelque chose de spécial aujourd’hui », pressent Fiete. De fait, la porte et la fenêtre ont été barricadées pendant la nuit. Mais surtout, toute la baie est couverte d’une couche de glace qui scintille à la lueur du soleil. Stine sait ce que cela signifie : tout le village va se réunir sur la glace et célébrer une grande fête. Par la chatière de la porte ont été glissés un morceau de pain, un peu de fromage, quelques bouts de charbon pour le poêle, et une lettre. « Le village » explique à Stine que « pour la sécurité de tous », il a été décidé de barricader sa cabane le temps de la fête. Stine et ses amis lisent la lettre, dépités. Une boule de neige brise la vitre. On entend les rires moqueurs d’enfants qui s’éloignent. Le froid s’engouffre dans la cabane.

Alors que la fête bat son plein dans la baie, Fiete aperçoit un petit nuage blanc à l’horizon. Stine connait les lois de la mer, elle comprend immédiatement qu’une tempête se prépare. Si les villageois ne quittent pas tout de suite la baie, ils seront perdus. Prise au piège dans sa cabane, surmontant la rancœur de toutes ces années de rejet, elle décide de tout faire pour les sauver. Sa voix étant trop faible, et celle de ses amis inaudible, il ne lui reste plus qu’une solution. Avec les quelques braises restantes du poêle, elle met le feu à la paillasse de son lit, espérant attirer l’attention des villageois. La fumée devient épaisse, l’air irrespirable, le nuage grossit et devient noir. Le village finit par accourir, juste à temps pour échapper à la tempête. Mais assez vite pour sauver Stine ?

Regard du traducteur

Jens Raschke adapte une vieille légende de la mer du Nord et parvient à aborder avec une grande justesse certaines des questions les plus difficiles de la vie. Le thème du deuil, récurrent chez Raschke, est traité ici dans toute sa complexité : la douleur, le manque, mais aussi le désir et l’impossibilité de l’oubli, la colère, l’incompréhension des autres. Pour Stine, le deuil n’est pas le silence des disparus, mais un dialogue qui se poursuit autrement entre les morts et les vivants. La pièce ne ment pas à son public, si jeune soit-il : Fiete et Gonne sont bien morts et ne revivent que « dans la tête » de Stine. Et en même temps ils existent. Ils sont bien réels, mais d’une autre manière – une manière que la scène est apte à montrer. 

La pièce interroge les enjeux collectifs du souvenir. Qu’est-ce que cela signifie, quand tout un village enferme la seule personne qui se refuse à oublier le drame de la mort de deux enfants ? Stine subit l’exclusion – le refoulement – d’un corps social qui ne veut pas se confronter à son passé. Elle se résigne à la solitude relative que lui impose la présence du passé. Méprisée, crainte, repoussée, Stine n’en renonce pas moins à se soucier des vivants. Modèle de courage, son personnage résonne aussi bien avec les lanceurs et lanceuses d’alerte de notre temps. Un nuage vient, encore faut-il savoir entendre celles et ceux qui le voient.

Comme dans ses autres pièces, Raschke déploie une écriture à la fois directe et poétique, rappelant l’enfance sans être enfantine. Les personnages parlent une langue quotidienne, quoique teintée d’une légère artificialité, nous projetant dans cet espace intermédiaire de la fable théâtrale : un espace où tout ce qui a lieu est à la fois un acte et un exemple. Le texte est tramé de jeux de mots et de circulations, de motifs qui se répètent et se déclinent. Il est tenu par une certaine économie aussi, un refus des mots superflus.

Malgré l’indication d’âge, ce texte ne s’adresse pas qu’à un jeune public. Au contraire, il questionne aussi le regard adulte sur l’enfance, et ce que signifie vieillir. Il nous invite à nous mettre à l’écoute et à observer nos renoncements.