Chassée de son quartier par des injures quotidiennes, Anita emménage dans un nouvel appartement de l’East End de Londres. Son fils est mort, sauvagement assassiné, et elle n’arrive toujours pas à comprendre ce qui s’est passé. Depuis l’enterrement, un mystérieux adolescent semble rôder autour d’elle, et il la suit jusqu’au pied de son nouvel immeuble. La confrontation est inévitable : ce garçon sait des choses qu’elle ignore, et inversement. À eux deux, ils peuvent reconstituer le puzzle. Mais découvrir la vérité va être un processus douloureux.
L’East End, cet ancien faubourg populaire et industriel en marge de Londres, connu au XIXe siècle pour les faits divers sordides qui se sont perpétrés dans les brouillards de ses rues, ravagé par les bombardements de 1940, ce quartier défavorisé aujourd’hui en pleine mutation est le cadre privilégié des pièces de Philip Ridley.
Au lieu de représenter l’action sur la scène, c’est en racontant des fragments d’histoires que l’auteur et ses personnages construisent devant le spectateur, petit à petit, une grande histoire que personne ne connaît vraiment dans sa totalité. Après avoir pratiqué ce mode narratif dans son théâtre pour jeune public, Philip Ridley l’a mis en œuvre dans sa pièce pour adultes Vincent River. Le mystère exposé dès le début de la pièce sera résolu progressivement au gré d’une mosaïque de petites histoires, de souvenirs, entre réalité et fiction, entre aveux et faux-semblants. Sans autre décor visible qu’un appartement en cours d’emménagement, encombré de cartons, lieu transitoire entre deux existences, le spectateur est transporté dans différentes époques, par des séquences assemblées comme dans un film, dans des lieux et des univers variés évoqués par les personnages de manière aussi convaincante que s’ils étaient représentés sur le plateau. Ainsi se succèdent des scènes de souvenirs qui sont toujours plus ou moins altérés par l’enthousiasme, l’imagination, le rêve ou le mensonge, des scènes qui se contredisent parfois mais qui, peu à peu, dessinent une mosaïque qui finira par révéler ce qui s’est passé. Car les événements passés, chacun n’en connaît qu’une partie : c’est ce qui conduit Davey et Anita à se rencontrer et à passer ensemble le temps qu’il faudra pour reconstituer, à eux deux, toute l’histoire de Vincent River.
De la fascination de la beauté à la solitude de l’ogre, du jardin secret de l’enfant au monde inquiétant de l’Autre, de la conception à la mort, c’est l’Amour qui est le moteur de toutes choses, de toutes ces histoires qui, réunies, constituent la vaste mosaïque de la vie : chaque histoire n’est peut-être pas tout à fait réelle, mais elle n’en est que plus vraie, comme l’auteur aime à le rappeler, voire plus vraie que la réalité même.