À propos de Oleg et Vladimir Presniakov
Il y a une dizaine d’années, deux jeunes universitaires, chercheurs à l’Université de l’Oural, à Ekaterinbourg, écrivains, se tournent vers le théâtre vivant. Le plus âgé a trente ans. Oleg (né en 1969) et Vladimir (né en 1974) Presniakov, russes par leur père, iraniens par leur mère, écrivent depuis longtemps des scénarios, dialogues, fragments théâtraux, qu’ils commencent à montrer et à vouloir monter. Ils fondent à l’Université de l’Oural leur propre théâtre, où ils s’essaient à la mise en scène sur les canevas qu’ils composent.
Leur travail ne tarde pas à attirer l’attention du monde du théâtre russe, critiques et metteurs en scène. Dès le début du siècle, les pièces des frères Presniakov sont remarquées dans les Festivals de nouvelle dramaturgie (« Lioubimovka », « Jeune dramaturgie »), où elles frappent par leur irrévérence, leur rapidité, un comique décalé, à la fois farcesque et sophistiqué, des sujets-chocs et une vision du monde contemporain qui mêle au délire fantastique une impitoyable justesse.
De jeunes metteurs en scène russes s’emparent de ces sujets, que les Frères réélaborent au gré de leur fantaisie et de la connivence qu’ils entretiennent avec le metteur en scène (Z.O.B., Europe-Asie, Esprits captifs, etc.).
En 2002, la pièce Terrorisme est montée au MXAT de Moscou par le jeune metteur en scène Kirill Serebrennikov. C’est un grand succès, aussitôt répercuté dans divers autres théâtres d’Europe (Tallin, puis Londres où la pièce est jouée au Royal Court). La pièce est traduite dans de nombreuses langues.
En 2003, Dans la peau de la victime (Playing the victim), une sorte de Hamlet rabaissé, est monté au Festival d’Edimbourg par Richard Wilson. Première mondiale qui est suivie d’une mise en scène au MXAT qui remporte un succès triomphal et demeure à l’affiche plusieurs années. La pièce, dans une mise en scène de Nekrotius fait en 2007 une tournée remarquée en France et en Belgique.
En 2004, Résurrection. Super (sur des motifs du dernier roman de Tolstoï) est monté par Iouri Boutous à la très inventive « tabatière » d’Oleg Tabakov. Aujourd’hui, les Frères font jouer au MXT (nouvelle dénomination) une pièce musicale pour adultes et enfants, Koniok-Gorbounok. Succès.
Les Frères Presniakov ont tiré de la pièce Playing the victim une version filmique, puis, plus récemment, un roman. De même que leurs versions théâtrales sont plurielles et le texte jamais complètement fixé, de même les Frères Presniakov semblent vouloir multiplier les supports possibles, jouant la carte du remake et de l’autoadaptation. Eux-mêmes sont assez insaisissables, voyagent dans des pays qu’ils aiment (le Portugal), répondent aux interviews par des dérobades ou de l’humour, et préservent jalousement leur indépendance.
Les pièces des frères Presniakov sont aujourd’hui considérées, avec celles d’Ougarov et de Vyripaev, comme ce que le « Nouveau drame » russe a produit de plus vigoureux. Contrairement aux deux auteurs cités, ils n’ont aucun lien avec le « Théâtre Doc », dont ils ne revendiquent ni la démarche ni la saisie brute du réel. Mais ils sont aussi aux antipodes d’un théâtre psychologique qui cherche à s’actualiser (Sigariov). Leurs pièces inventent un ton entièrement nouveau, mélange de fantastique, de farce ubuesque et d’observation sans pitié. Elles construisent un monde loufoque, incongru, remuant, choquant, marionnettisé d’emblée, qui se donne très vite, pour le spectateur, comme le seul réel, créant un décalage où se glisse une forte inquiétude existentielle. La reprise, sur un mode bouffon, de motifs très connus (Hamlet, la Bible, la biographie d’Alexandre Blok) accentue un malaise qui explose à chaque instant dans un jaillissement farcesque.