Résumé
Les errances d'une femme sans nom ni foyer. Des rencontres, des tranches de vie. Une sorte de road movie théâtral et urbain, quasi onirique, par lequel Cassavetes nous invite à entrer dans les pas, les rêves et les cauchemars de son personnage central.
Regard du traducteur
La pièce est sans doute aussi déroutante que l’étaient les films de John Cassavetes. Il fait fi de tous les débats et de toutes les évidences, pour chercher une écriture absolument personnelle. Et ce d’autant que, comme pour ses films, l’œuvre était destinée à sa « famille » de comédien : le rôle principal (écrasant) était écrit pour Gena Rowlands. Mais comme souvent, cette recherche idiosyncrasique se retourne d’elle-même en propos universel. Il y a une infinité d’interprétations possibles du texte, une infinité de façons de le mettre en scène et de le jouer — « cassavetienne » ou pas.
Au-delà du contexte politique (années Reagan) qui a sans nul doute contribué à son envie de placer au centre d’une pièce une femme sans domicile, Cassavetes sonde comme toujours les extrêmes de l’humanité. La force de l’œuvre est peut-être de transmuer cette anti-héroïne en héroïne, en nous proposant de l’accompagner dans les méandres de ce que certains appelleront (pour se défendre) sa folie, d’autre (pour rester neutre) son monde intérieur, d’autres (qui auront mieux compris) son odyssée, etc.
Pour ce faire, Cassavetes a délibérément choisi le théâtre, et non le cinéma. Il entend clairement jouer sur des degrés variables et flous de réalité que favorise le théâtre. Cela apparaît dans certaines didascalies explicites, mais aussi dans sa demande de faire jouer tous les rôles autres que celui du personnage principal par Un Homme Jeune, Une Femme Jeune, Un Homme Plus Agé, et Une Femme Plus Agée. Les personnages que croise la Femme de Mystère deviennent ainsi des variations autour de quatre pôles, d’une humanité réduite par elle à quatre points cardinaux, processus qui nous entraîne irrémédiablement (lors de la représentation) dans sa subjectivité.
Le personnage central, cette femme de mystère, est donc présente à chaque scène. Le rôle est l’un des plus lourds du répertoire, parsemé de monologues poétiques, à la fois complexe par son unité (le personnage ne change pas) et sa diversité (les humeurs et les situations changent en un instant). Taillé sur mesure pour Gena Rowlands, le rôle peut néanmoins être abordé par des comédiennes d’une toute autre nature (Myriam Boyer en a fait la preuve).