La ville de Détroit en ruine est le lieu où se joue ce drame. Au dernier étage d’un gratte-ciel abandonné habitent Carter et Vladimir. Dans une autre partie de la ville se trouve Jack, le frère jumeau de Vladimir avec qui Carter vivait auparavant. Ensemble ils ont eu un enfant, Storm, que Carter a abandonné. Dehors, le monde se transforme progressivement et tombe en ruine.
C’est l’histoire de Carter et Vladimir qui se sont rencontrés au téléphone alors que Carter voulait lui vendre des assurances-autos.
C’est l’histoire de jack, le frère jumeau de Vladimir, photographe reconnu qui a gagné beaucoup d’argent et qui a toujours été habitué à avoir tout ce qu’il voulait.
Carter passera de Vladimir à Jack puis de nouveau à Vladimir au rythme de la chute de Detroit. Et aujourd’hui, alors que la ville a sombré, Vladimir veut que Carter l’aide à mourir.
Toute l’histoire est racontée par Carter qui s’adresse régulièrement au public. La pièce avance en oscillant entre flash-back, scènes rêvées et présent de la narration.
Régulièrement, différents personnages viennent rendre visite à Carter : Silvia (sa mère), Silver (son père), Storm (l’enfant qu’elle a eu avec Jack) et la voix de Ronald Reagan. On navigue alors entre le rêve et la réalité.
Détroit, berceau de l’industrie américaine, ville autrefois prospère avec une forte industrie automobile, qui a fait faillite en 2013. La banqueroute et l'effondrement du secteur automobile ont entraîné un exode de ses habitants faute d'emplois. La population riche a déménagé et a laissé des parties de la ville désertes. American Hotel décrit quelques-uns d’entre eux qui sont restés.
Dans un gratte-ciel abandonné se joue un drame amoureux entre Carter et les frères jumeaux, Vladimir et Jack. Carter a eu une relation avec les deux hommes et a eu un enfant avec l’un d’eux qu’elle a abandonné. Mais ce n’est pas ça le vrai drame de cette histoire. La question que Sara Stridsberg pose ici est : que se passe-t-il chez un être humain quand le monde autour de lui s’écroule et qu’il perd tout ?
Carter est le personnage central de cette tragédie. Elle porte le deuil de sa mère morte, de son père absent, de sa fille qu’elle a abandonnée et de son grand amour Vladimir qui rêve de se suicider. En arrière-plan il y a Détroit, ses buildings en ruine et ses rues désertes. Au fur et à mesure que la pièce avance, le personnage principal devient la ville. La ville qui sombre et qui emmène avec elle ses habitants les plus précaires.
Sara Stridsberg brise la linéarité de l’histoire en avançant par flashbacks et scènes rêvées sans pour autant perdre la dynamique de l’intrigue. Dans une tonalité apocalyptique la pièce avance et nous livre une histoire émouvante qui reflète l’état psychique d’un monde en train de s’écrouler. C’est un requiem minimaliste sur une époque. Les personnages font un compte-rendu d’un monde qui ne les prend plus en compte. Pour eux, la fin du monde approche, tranquillement, lentement, mais sûrement.
Dans cette pièce, le temps et l’espace n’existent plus. Tout s’est effondré. L’espace devient alors poétique, un instant absolu où tout est en suspens. Nous sommes dans un lieu au-delà du « normal», le lieu de l’enfermement où la vie de quelques personnes est en cours. Ayant autrefois fait partie de la société, ils vivent aujourd’hui reclus en haut d’un gratte-ciel, dans un monde qui a été délaissé.
Il n’y a plus d’avenir possible, seulement une tentative des personnages de ne pas sombrer encore davantage. L’être humain est mis à nu. Il se dévoile. Il chute. Mais chuter c’est aussi comprendre enfin le monde. La figure de Carter fonctionne ici comme un miroir qui nous renvoie ses réflexions sur le monde. Ce personnage est fait de contrastes et de paradoxes et symbolise l’être humain dans tout ce qu’il a de plus complexe.
« La chute m’intéresse. Et aussi ce qui nait après, quand on a tout perdu. Il y a quelque chose d’intéressant dans le fait de se trouver au bord de l’existence. Quand l’acuité de la vie se révèle, on découvre alors son essence. On éprouve les contrastes entre ombre et lumière, entre ordre et désordre. »
Inspirée par Marguerite Duras, Sara Kane, Elfriede Jelinek, Unica Zörn, Sara Stridsberg travaille sur les thèmes de la destruction et de l’aliénation dans la littérature.
« Une des raisons d’être de ma littérature est de faire naître le paradoxe. La littérature embrasse le monde entier et peut être un asile pour les indésirables et tous les marginaux du monde. »