"Regarder en face le traumatisme de 1948, un pas nécessaire vers la réconciliation", tel pourrait être le motto de Motti Lerner avec cette nouvelle pièce politique qui fait retour sur les origines du conflit israélo-palestinien.
L'action se déroule à Haïfa, l'une des rares villes "mixtes" en Israël, où Arabes et Juifs vivent côte à côte. Deux familles, l'une palestinienne, l'autre juive, tissent des relations de voisinage, d'entraide, d'amitié et parfois même d'amour, lorsque soudain vers la fin des années 1980, un vaste projet immobilier fait ressurgir le passé. La construction d'un nouveau quartier d'habitations, à la périphérie de la ville, à l'endroit même où se trouvait un village palestinien conquis en 1948 par la Hagana, l'armée du tout nouvel Etat, va en effet raviver, chez les uns, le souvenir encore brûlant de la Nakba et de l'exil et, chez les autres, la conviction d'une guerre impitoyable mais juste pour la survie d'un peuple de rescapés après le traumatisme de la Shoah.
Y a-t-il eu un massacre lors de la conquête de ce village, rasé par la suite ? Ce massacre, qui aurait fait plus de 200 victimes, s'est-il déroulé pendant les combats, ou après pour inciter les villageois à fuir en masse vers la Jordanie ? Pire, ce massacre découlait-il d'un plan officiel gardé secret ? Autant de questions troublantes qui vont accompagner le déroulement de l'intrigue.
À travers l'histoire de leur propre famille, Samia et Guiora, représentants de la jeune génération née après la création de l'Etat, commencent à interroger leurs parents, les uns acteurs, les autres victimes de ces événements. Ils les poussent dans leurs retranchements, confrontent leurs témoignages et prennent peu à peu conscience de la réalité des faits. Mais Guiora parviendra-t-il à convaincre son père, qui commandait alors le bataillon chargé de prendre ce village, de reconnaître des actes assimilables à des crimes de guerre ?
Motti Lerner, qui s'inspire d'événements réels en s'appuyant sur des travaux d'historiens, situe sa pièce vers la fin des années 1980, au moment où paraissent les premières révélations sur la manière dont Israël, quarante ans plus tôt, expulsa les Palestiniens de leurs terrres.
Depuis, quantité d'historiens et de journalistes s'emploient à "déconstruire" l'historiographie officielle fondée dès l'origine sur le déni et le refoulement, mais la reconnaissance de cette part sombre du passé du pays, après avoir déclenché dans un premier temps scandale et procès en diffamation, reste toujours aussi problématique et est globalement rejetée par une opinion convaincue de son bon droit et attachée aux récits héroïques des commencements.
Écrite en 2012, la pièce de Motti Lerner rencontra elle aussi quelques résistances. Elle ne trouva un théâtre prêt à la monter en hébreu qu'après avoir été jouée en anglais aux États-Unis. Pourtant, tout en s'affirmant comme engagée, elle donne à entendre un point de vue nuancé, où chacun des personnages, de là où il se trouve, apporte un autre éclairage sur cette problématique mémorielle complexe. Les discours s'affrontent, les émotions affluent.
D'une grande fluidité, les dialogues sont en outre portés par un dispositif théâtral original, qui permet d'introduire dans le fil de l'intrigue des personnages assistant à des scènes auxquelles ils ne participent pas : de bout en bout, en effet, la pièce se déroule dans le souvenir de Guiora, qui assiste, impuissant, au ballet des bulldozers en train de faire disparaître des derniers vestiges du village palestinien et de préparer le terrain pour la construction d'un nouveau quartier d'habitations.