Où l’on peut découvrir Nietzsche en mangeant des bonbons. Barcelone sous la pluie, est une vision lucide (peut-être un peu cynique) de notre société. S’il pleut ici sur Barcelone, il pourrait pleuvoir sur n’importe laquelle de nos grandes villes. On y retrouverait les mêmes symptômes de la consommation à outrance, de la mondialisation qui entraînent l’isolement et la marginalisation.
Pau Miro avant d’être auteur est acteur. C’est sans doute grâce à sa connaissance du jeu qu’il a su créer si délicatement ses personnages. Dans cette pièce, la prostituée, son compagnon (plutôt que son maquereau) et son client sont embarqués dans la ronde des désirs, des envies, et des frustrations de notre société. Si Lali a la possibilité de consommer de la culture jusqu’à aller choisir ses clients dans les musées, peut-elle réellement échapper à sa condition, et changer de vie ? Elle est, elle-même, un bien de consommation pour ses clients, et notamment pour David. Celui-ci, pour fuir sa solitude s’offre une compagnie, mais ses conflits internes demeurent. Quant au troisième, Carlos, son imagination et sa curiosité pourraient se limiter au menu de son prochain repas. Son fonctionnement est immédiat, et sans fin. D’où son opposition à Lali, qui cherche, qui sent qu’il peut il y avoir autre chose, plus loin. Et quand elle croit y parvenir, quand son désir « d’être un peu plus normale », pourrait se concrétiser, elle est encore une fois confrontée au rôle qui lui a été octroyé. David ne la sauvera pas. Il est certainement le plus éclairé du trio, il a conscience des réalités et si c’est lui qui demande à Lali de venir travailler pour lui (dans sa librairie), il le fait sans lui préciser les « services inclus », et s’adresse directement à Carlos pour fixer un prix.
C’est là une des forces de Pau Miro, de ne pas se laisser aller à une complaisance gentillette, mais dire les choses comme elles sont, en usant beaucoup d’humour, de tendresse pour dévoiler des cruautés quotidiennes. La pièce serpente dans ces entrelacs, de sentiments, d’émotions, nourris des échecs personnels, des non-dits, des malentendus de la vie que traversent les trois personnages. Ce qui les guide malgré tout, reste : l’envie, la curiosité et l’espoir.
Dans sa forme (et notamment par le langage employé) ce texte pourrait être apparenté à un « documentaire théâtral », un moment extrait de leurs quotidiens, représentatif de leurs aspirations, car il n’y a pas lieu pour les grands éclats, les cris et les coups de force. Tout ce qui transparaît, sans jugement de la part de l’auteur nous est suggéré avec douceur et respect ; et nous suivons ces parcours singuliers comme une démonstration de ce qui est.