Dans une pièce plongée dans le noir, faiblement éclairée par un puits de lumière au plafond, une femme interroge un homme parce que ce dernier a vu et même touché, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, une forme de vie aliène. De nombreuses vidéos, filmées par les témoins de cette rencontre rapprochée du troisième type, circulent. La « créature », qui n’est pas constituée de carbone à la différence de l’être humain, des animaux et végétaux présents sur Terre - autrement dit « l’équipe du carbone » -, a été en contact avec l’homme et en a profondément bouleversé, déréglé les perceptions avant de disparaître dans le néant. Au fil d’un dialogue oscillant entre inquisition et intimité psychologique, la scientifique cherche à reconstituer le fil des évènements. Elle veut percer la vérité de cette rencontre rapprochée, en saisir le sens et le danger potentiel pour la Terre. Peu à peu elle va aussi percer le mystère et le drame intime de l’homme qui de témoin privilégié pourrait devenir une menace pour toute l’humanité.
À travers la rencontre avec l’alien, un inconnu qui échappe à notre compréhension, l’auteur interroge l’interaction entre soi et l’Autre, le conflit entre l’individu et le monde, entre intérêts personnels et intérêts collectifs, le sens à donner à une vie terrestre bercée par des repères velléitaires.
L’interrogatoire est en parallèle régulièrement entrecoupé par la projection d’images extraites du disque d’or intitulé The Sounds of Earth, embarqué dans les sondes spatiales Voyager en 1977 et contenant des sons et des images dressant un portrait de la vie sur Terre, telle une bouteille à la mer destinée à d’éventuels aliens. Chaque image est ici illustrée par un titre intrigant ou provocateur et commentée ironiquement, avec humour par la Voix qui livre au final une sorte de conférence sur la civilisation du carbone, à savoir nous, une espèce qui cherche désespérément du sens à toute chose et qui est capable du meilleur comme du pire.
Le thème de la famille est un sujet cher à Pisano. Toutefois, ici, il dépasse la famille nucléaire traditionnelle pour aborder une famille plus grande : la famille des êtres terrestres (humains, végétaux, animaux), « l’équipe du carbone » en référence à la substance qui les compose et les distingue a contrario des « pas » carbone à savoir les autres formes de vie, d’intelligence, de sensibilité, l’alien (qui au sens premier signifie personne étrangère à un groupe, un milieu).
La rencontre rapprochée avec une créature d’un autre monde, ce quelque chose ou quelqu’un extrêmement éloigné de nous, offre à l’auteur un prétexte pour réfléchir sur la condition humaine : la précarité de notre réalité, le sens de l’existence…
La dramaturgie et notamment la construction développée par Pier Lorenzo Pisano servent très habilement son propos et sa réflexion tout en faisant montre d’originalité. L’auteur recourt à la science-fiction qui n’est pas un genre courant au théâtre. La dimension fantastique permet à Pisano de pousser le curseur à l’extrême, d’amplifier au maximum son propos et la question du conflit entre le collectif et le personnel.
Par ailleurs, Pisano met en place une construction parallèle et un dispositif symbolique habiles et captivants qui alternativement nous tient en haleine voire en tension, puis nous fait (sou)rire. Sans maniérisme, sur un fil qui se dédouble, la pièce déroule un dialogue rythmé dans une langue épurée, sous forme essentiellement d’un interrogatoire acéré, tendu, réduit à l’os, entre l’homme qui a vécu la rencontre rapprochée avec « la créature » et une scientifique. Ce dispositif d’interrogatoire mené à huis clos entre deux personnages, animés par des intentions différentes voire contradictoires, créent une tension dramatique forte et un suspens quant aux enjeux et aux conséquences de la venue de l’alien sur Terre.
D’autre part, ce dialogue est régulièrement entrecoupé par un dispositif visuel et sonore à savoir la projection de différentes images et d’un titre qui les illustre, suivie d’une voix (la Voix) qui les commente (l’intention de l’auteur a été de rendre les images choisies le plus autosuffisantes possible en développant leur nature descriptive pour permettre à l’imagination de se déployer).
Ce procédé habile permet à Pisano de contrebalancer l’atmosphère tendue et la part de gravité du dialogue par une sorte de mise en abîme de l’équipe du carbone et de sa condition, sur un ton décalé, drôle ou encore poétique. Ces bulles d’air tempèrent les questionnements du dialogue, les peurs et le vertige qu’il suscite.
Pisano a trouvé ces images, dont certaines sont vraiment cocasses ou déroutantes, en puisant dans le disque d’or Voyager envoyé par la NASA dans l’espace en 1977 pour donner en son et en image un aperçu de notre civilisation à l’attention d’hypothétiques aliens qui le trouveraient.