Résumé
La Serbie après-guerre. Deux adolescents, Le Petit et Bane, en mal de repères essaient de survivre et de grandir dans un monde privé de systèmes de valeurs. Dans cet univers où la mafia fait la loi, où la vente de la drogue fait vivre les familles, la naïveté enfantine du Petit et de Bane se mélange avec la cruauté de leurs aînés. Par mimétisme, Le Petit et Bane jouent à la violence et rêvent de devenir à leur tour des chefs de gang… pour s’en sortir ! Mais le règlement de comptes entre le frère du Petit et Le Glauque, le caïd du coin, fait basculer leur rêve dans une réalité qui ressemble plus à un cauchemar. Pour sauver sa copine, Bane vole l’argent sur le lieu de travail de sa propre sœur qui, à son insu, le dénonce. La mère du Petit se suicide, son frère est condamné à six ans d’emprisonnement et Le Petit, après avoir été violée, termine dans un centre de redressement.
Tout au long de la pièce, Le Petit collectionne les cartes postales et les écrits à son père disparu un jour en allant acheter des cigarettes. Les textes des cartes postales ponctuent les tableaux et en résument le contenu. A la fin, le père retrouvé, Le Petit refuse de le voir et les cartes postales vides recouvrent son visage comme si elle-même devenait une carte postale, un souvenir de Belgrade.
Regard du traducteur
Quête de père, quête de repère.
Cher papa, souvenirs de Belgrade est la troisième pièce de Milena Bogavac, jeune écrivain serbe, qui fait partie de cette nouvelle génération des auteurs qui ont grandi avec la guerre, les sanctions, le début et la fin du régime de Milosevic. A la différence des pièces de Srbljanovic, marquées d’un profond sens politique, les textes de Bogavac traitent de la misère sociale de Belgrade. Elle décrit la société serbe d’aujourd’hui et sa jeunesse en perdition, rebelle mais sans perspective. Bien que les contextes politiques et sociaux soient différents, cela ressemble étrangement à n’importe quelle histoire de banlieue occidentale avec les mêmes conséquences désastreuses pour les individus.
Puisque elle n’a jamais connu autre chose que cette période sinistre de l’histoire de la Serbie, Milena Bogavac ne peut que se poser des questions : comment grandir dans une société dépourvue de systèmes de valeurs ? Comment construire sa personnalité dans une société où les mafieux règnent ? Quelle est la valeur du travail (de l’école) quand les anciens criminels deviennent l’élite de la société alors que les intellectuels d’hier se retrouvent à la soupe populaire ? En quoi croire quand la famille explose sous le poids de la réalité ? Quelle peut être l’autorité des parents quand eux-mêmes sont dépassés, voire écrasés par les événements ?
Mais elle ne donne pas de réponse à ces questions. Sa façon d’écrire est presque cinématographique. Elle décrit ce qu’elle voit et c’est « l’action » qui propose des réponses ou notre interprétation. Il y a quelque chose d’un feuilleton télévisé dans sa manière de conduire l’intrigue, de garder toujours la possibilité d’un rebondissement.
Ces personnages, les jeunes en manque de repères, sont presque sans psychologie. Pris sur le vif, ils se débattent avec leur quotidien, l’ennui, la survie… A défaut d’avoir un avenir, ils s’occupent à faire passer le temps. Ainsi, la ponctuation des scènes par des cartes postales que le personnage principal, Le Petit, collectionne et envoie fictivement à son père - parti un jour dans une direction inconnue – n’est qu’un jeu. Et la recherche du père n’est qu’un échappatoire, une possibilité d’espérer dans le désespoir. Car quand à la fin le père apparaît, Le Petit refuse de le voir. Pour ne pas détruire tous ses rêves.
Cher papa, souvenirs de Belgrade est un texte qui se dévoile lentement. Et bien que la jeunesse de l’auteur explique quelques faiblesses et longueurs du texte, c’est un nom à suivre de près pour la qualité de son écriture et son entier engagement au service du théâtre.