Un seul personnage, une femme en combinaison de vol de l'US Air Force.
La Pilote s'adresse à nous - pour nous elle n'a pas de nom, elle est tout entière identifiée à ce qu'elle a construit à force de courage et de volonté : elle est son métier, pilote de chasse dans l’US Air Force. Une rencontre de hasard qui se passe plutôt bien, une grossesse accidentelle mais acceptée avec joie, elle lâche les commandes le temps de faire son enfant. Les mois passent, puis un an puis deux, et l’appel du ciel se fait de plus en plus irrésistible. Mais quand elle se présente pour reprendre le service, c’est un nouvel appareil qu’on lui confie. Plus de ciel, plus de bleu, fini l'ivresse de la vitesse, la sensation de toute-puissance… désormais c'est un drone qu'elle doit piloter. Dur de renoncer au bleu du ciel pour plonger dans le gris d'un écran. Envoyée faire la guerre au Moyen-Orient depuis une caravane climatisée près de Las Vegas, douze heures par jour elle sera un œil tout-puissant, quasi divin, surveillant le désert prête à exécuter sur-le-champ les mortels estampillés coupables. Le soir elle pourra rentrer chez elle et voir sa fille dormir en paix.
Mais y a-t-il un prix à payer pour surveiller ? Peut-être que si l'on observe sans relâche, on ne peut plus cesser de voir ; peut-être est-on à son tour surveillé par un œil supérieur. Plongée dans le gris de l'écran à longueur de journée, ce gris qui efface la réalité, elle en vient néanmoins à retrouver les sensations fortes. Sa première frappe sur un groupe de terroristes lui procure les mêmes poussées d'adrénaline, la même excitation, que lorsqu'elle volait dans le bleu. Mais la guerre c'est la guerre et celle-ci, malgré le mythe du risque zéro, danger de mort écarté, s'avère plus dévastatrice pour la pilote que l'autre, la vraie.
Une langue rythmée, pulsatile, avec ses accélérations, salves, ralentissements, avec son économie, la puissance d'évocation, le concret; l'art avec lequel forme et fond sont imbriqués et se nourrissent l'un l'autre, la manière de mêler sans coutures apparentes histoire personnelle et réflexion politique, tout ça tout ça. Un personnage de femme fort, dense, riche, de quoi satisfaire un appétit d'actrice. Une pièce construite en spirale, en vortex, avec une accélération dans la deuxième moitié de la pièce, quand l'espace mental bascule, quand la frontière entre les deux vies - famille la nuit, guerre le jour - devient poreuse. L'avantage apparent qu'il y a à aller à la guerre comme on va au bureau et rentrer à la maison le soir devient lourd à payer. Sans les rituels de camaraderie et les sas de décompression liés à la vie de combat sur le terrain, les frontières se brouillent de façon malsaine…