Une fille – F et son père – P sont au téléphone. Ils vivent assez loin, lui dans la campagne, elle en ville, à « l’ot bout du pays ». Chacune des vingt-huit scènes de la pièce est une conversation téléphonique. Au fil des scènes, on assiste donc à cette conversation chaque fois interrompue, poursuivie, reprise au fil des heures ou jours. Chaque protagoniste gère de façon différente le deuil de la mère / épouse, décédée il y a quelques mois. Les mots peinent à sortir, et la conversation se cristallise autour de la question des possessions matérielles des parents et de l’aménagement de la maison familiale, dans laquelle le père vit désormais avec sa nouvelle compagne - « elle ». Ils évoquent donc à partir de la deuxième scène l’arrivée d’une nouvelle armoire, qui va remplacer l’ancienne, donnée à une tante. Puis suivent d’autres changements. Les meubles et les bibelots que la morte avait choisis représentent leur vie d’avant, la vie qui ne sera plus jamais.
Le père décide de faire table rase, de se débarrasser de tout ce qui est « vieillot », « désuet ». Il veut tourner la page, et sa compagne - « elle » - a l’air de l’y pousser ardemment : elle aime le neuf, le moderne. La fille, elle, s’oppose catégoriquement à ce changement, et elle refuse donc aussi de remettre les pieds dans cette maison qui n’est plus la sienne. Chacun campe sur ses positions, et un bras de fer téléphonique s’engage.
La fille ne reviendra que quand tout sera de nouveau à sa place, comme avant. Bien sûr, les meubles sont alors une métaphore et un prétexte, plus que la raison de sa colère. À un moment, l’ultimatum est posé plus clairement : c’est elle ou moi. Sous le conflit, l’amour, la douleur et la perte. Finalement, le père finit par plier sur nombre de sujets, et un terrain d’entente commence à se trouver – mais la fille ne vient toujours pas, c’est donc lui qui ira vers elle.
Comme dans toutes les pièces de Magne van den Berg, la langue est ciselée à la fois comme de la dentelle et maniée comme une arme. Avec le moins de mots possibles, mais beaucoup de musicalité et d’attention au rythme, Magne van den Berg sait suggérer et révéler les drames, les souffrances, les regrets et les espoirs de ses personnages. Un mot ou un silence racontent un cœur brisé, un regret, un dilemme, et les sous-entendus et les non-dits s’accumulent, parfois suggérés, parfois brutalement exposés. À la langue et au style caractéristiques de l’autrice s’ajoute ici une opposition entre deux rapports au langage. La façon de parler des personnages reflète en effet une distinction géographique et sociologique. On retrouve là une autre thématique chère à l’autrice : le fait de quitter son lieu de naissance, de se détacher de ses racines - thème central dans le Long développement d’une brève confidence.
Comme souvent aussi, Magne van den Berg joue sur le fil du mélodrame, avec humour et finesse, mais aussi beaucoup de tendresse.
Un dialogue intense et un dispositif qui laisse très ouvertes les possibilités de mise en scène.