Écriture

  • Pays d'origine : Italie
  • Titre original : sdisOrè
  • Date d'écriture : 1991
  • Date de traduction : 2011

La pièce

  • Genre : Tragédie grand-guignolesque contemporaine en vers libres
  • Nombre d'actes et de scènes : Non indiqué
  • Décors : Non indiqué
  • Nombre de personnages :
    • 1 au total
  • Durée approximative : 1h30
  • Domaine : Protégé

Édition

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Résumé

Le texte ne propose aucune didascalie, pas mêmes celles qui définiraient le type d’espace scénique, il se présente comme une partition destinée à être interprétée par l’acteur avec l’intervention de son metteur en scène.
Le monologuant, incarnation de « l’âme du théâtre » est un comédien errant qui raconte dans cet espace vide l’histoire liée au mythe de l’Orestie en interprétant tous les rôles : Oreste, Egisthe, Clytemnestre, Electre, la foule et le chef du peuple. Les références de l’auteur sont surtout Eschyle et Alfieri. Le texte se présente en vers libres dans un mouvement qui s’appuie sur la parodie, le mélodrame et l’opérette.
Le monologuant raconte et adapte de manière grandguignolesque et porno-paroxystique les événements bien connus de la tragédie. Oreste rentre à Argos pour venger son père Agamemnon, tué par Clytemnestre et par son « nouveau gaillard », Egisthe qui désormais en usurpe le trône: salut mélodramatique d’Oreste à l’aube, auto-présentation des personnages, désaccord entre mère et fille, cauchemars, fantasmes et « grande baise » du couple royal, …
Accompagné par le fidel Pylade, Oreste se rend sur la tombe de son père où il rencontre Electre. La tragédie reproduit sur un ton grotesque la fable originale en accentuant la grande boucherie de la vengeance et en y ajoutant une touche archaïque et régressive de sexe, de viol incestueux, de bain de sang, jusqu’à ce qu’Oreste harangue la foule d’Argos depuis le balcon du palais royal.
Mais pendant ce discours, les furies apparaissent à son esprit, ce qui entraîne chez lui un changement d’attitude brutal et inattendu, puisqu’il se met à refuser toutes les propositions du représentant politique et religieux de la ville. Le héros se divise en deux et la pièce bascule dans une seconde partie plus distanciée du mythe original. Oreste renonce à la justice civile, à l’absolution d’Athéna et des citoyens d’Argos, il prend ses distances par rapport à la Polis, à son propre nom (ce qui explique le titre de la pièce) et il décide de s’exiler.
Les institutions civiles ont perdu pour toujours l’intégrité de leurs origines antiques, elles sont trop liées à l’habitude de la compromission, à la paix illusoire, à un jeu occulte et violent du pouvoir. Oreste préfère les furies, il préfère le renoncement en exprimant son refus du politique. Il rejoint idéalement la rébellion anarchique de la trilogie des années soixante dix de L’Hamblette, Macbette et Edipus. Le soir tombe, il monte sur son bateau, la voile se gonfle et il prend le large.
Comme le dit Giovanni Testori lui-même « Mon Oreste c’est la tragédie que la vengeance n’apaise pas, de l’ordre rétabli qui n’apporte pas la paix. Face à la Polis qui lui offre le pardon social, Oreste refuse ce retour à la normalité, cette manière d’étouffer la conscience à travers le chantage. Les pardons, les réconciliations qu’il attend sont bien différents : le rameur de son bateau n’est pas encore arrivé ».

Regard du traducteur

Il s’agit de l’avant dernière œuvre de Testori qu’il écrit lorsqu’il est déjà malade. Ceci opère une transformation dans sa manière d’écrire. Le son devient prédominant par rapport au sens, les vers sont plus courts, plus encore que dans ses œuvres précédentes comme si la crainte d’entrevoir une fin proche le poussait à ramasser son écriture, le conduisant à l’essentiel et à une nouvelle réinvention du langage sur la base du travail opéré sur ses textes précédents.
La parole de Testori se transforme en son, un son qui a une énorme capacité de communication au delà des barrière linguistiques, un son qui ne doit pas être intelligible pour être compris parce qu’il est tellement parfait et juste qu’il donne à lui seul tout son sens à ce qui nous est raconté.
Ce n’est pas par la voix que cette nouvelle langue doit se transmettre mais par les écarts, les sons gutturaux : dans cette distorsion qui éloigne de la norme, déformant les désinences, réduisant les mots à l’os pour les faire refleurir avec des volutes baroques, en faisant vibrer les différences entre deux calques qui ne peuvent pas être identiques. Ce n’est pas tant une langue qui choisit de se mesurer avec la réalité (même s’il s’agit d’une réalité fragmentée, stratifiée, multiformes et qui impose donc le pastiche, la superposition de différents registres et argots). Il s’agit au contraire d’une langue qui revient à elle-même et qui même en première instance se révolte contre elle-même et ses propres règles. Elle se cristallise dans les clichés qu’elle invente puis elle s’insurge.
C’est le monologuant qui se voit chargé de la gestion du langage, il doit articuler dans l’élémentaire caractérisation des personnages les registres d’une langue désormais incomparable avec son mélange de grecquismes, latinismes, francisismes, germanismes, espagnolismes estropiés avec les métaphores du bas langage teinté par l’univers paysan mis à jour avec d’autres composantes comme le son qui conserve de manière typiquement populaire les traces des humeurs dans la fréquence des altérations augmentatives ou péjoratives des noms avec les effets onomatopéiques des altérations des sifflantes (la s en z) ou des gutturalisations impropres (du son j en g) avec les ajustements ludiques et approximatifs pour faire fonctionner la rime.
Ce n’est pas la nostalgie d’un passé irrécupérable mais la conscience, la recherche de l’authenticité expressive dans l’Italie d’aujourd’hui qui est en jeu.
Oreste, un fois qu’il a accompli le double assassinat se repend en reniant la « grande boucherie de la vengeance » au noms de concepts complètement neufs qui n’appartiennent pas au registre grecque. Oreste est profondément sanglant mais aussi drôle et comique par l’expressivité de son langage dans lequel Clytemnestre est pour ses enfants « une vache profanée » ou « une pauvre poulette dévastée », Electre devient électrique grâce à l’intervention de Marconi et la langue d’Egisthe devient « écarlatée » par la peur.
Les accents mélodramatiques s’entremêlent avec les accents tragiques. Le Grand Guignol épouse le comique, la grandeur de l’œuvre d’Eschyle se retrouve immergé dans un quotidien grotesque dans le cadre de la province milanaise.
Dans notre traduction, nous nous sommes heurtés à plusieurs difficultés : le respect de la rime, la différence de niveau de langage, les néologismes, la gutturalisation, l’invention linguistique pour obtenir la rime, les sifflantes et la rythmique courte de la phrase.
La traduction nous semble assez fidèle dans l’ensemble car nous avons répondu à la contrainte en reproduisant sans complexe les altérations qui existaient dans l’original sur la base française n’hésitant pas à rentrer progressivement dans une étrangeté dont la réception nous semble devenir peu à peu naturelle. Le plus difficile s’est révélé être la longueur du vers, sensiblement plus long en français si l’on veut tout de même respecter le sens de l’œuvre.
En revanche la deuxième partie nous amène vers une recherche plus épurée et plus lyrique plus proche de ce que nous avons déjà traduit dans Trois Lais qui constitue la dernière trilogie monologique de Giovanni Testori, unique œuvre postérieure à désOrest’.