Doucement, Electre propose, sous une forme inhabituelle, un redoutable face à face entre une mère et sa fille, toutes deux actrices. Enfermées dans un espace de théâtre, la scène, elles mettent en jeu la relation mère/fille, tandis qu'un autre face à face vient interrompre le premier à intervalles réguliers : sur un écran évoluent une jeune femme et un homme (interprétées par les deux mêmes comédiennes). Sous le regard complice d'un régisseur silencieux, les deux actions vont se jouer en parallèle puis se confondre, et confondre dans le même mouvement le passé et le présent, le masculin et le féminin, la réalité et la fiction, la vérité et le théâtre, avant de se dissoudre, lors d'un ultime coup de théâtre.
"théâtre" est l'un des derniers mots prononcés par les personnages centraux. L'auteur les appelle "l'actrice aînée" et "la jeune actrice". C'est donc le théâtre qui constitue le questionnement-même de cette pièce, en tant qu'espace du trouble, de l'ambigu, de l'indécis, du doute. Rejoignant les préoccupations d'un certain nombre de grands auteurs français d'aujourd'hui, de Koltès à Minyana, Hrafnhildur Hagalin suppose, à sa façon, l'incapacité d'un drame à résoudre. On est aux antipodes de l'Electre des tragiques, comme de celle, plus proche pourtant, de Giraudoux. On est aux antipodes de ce théâtre-là, qui se définissait précisément en adéquation avec la notion de la résolution. Ici, le théâtre a baissé les armes et laissé même une place à l'image. Il n'y a plus d'illusion possible, plus de personnages, plus de décors, plus de fiction. C'est le théâtre de la présentation et de la béance, ou plus exactement de la présentation de la béance. Une béance pourtant curieusement jamais vide. Peut-être parce que le vide la guette et la menace. Du coup, dans ce théâtre-ci, place est faite au jeu. Un jeu pur, innocent de toute illusion, de tout discours. Un jeu pour le jeu. Tour à tour féroce, tendre, comique. Jeu de pistes à l'infini, ouvrant sur un univers de possibles. Jusqu'au vertige -Hagalin va très loin quand elle propose la figure du travesti comme réponse au trouble identitaire de l'être contemporain.
La pièce est écrite comme une partition musicale qu'un crescendo final vient clore. Le rythme de la langue prime souvent sur le sens : ellipses, répétitions des mêmes phrases, des mêmes mots, de séquences qui parfois ne sont que vaguement liées ensemble. Autant de variations sur le même thème : le théâtre ou l'obsession du vide