Située au fin fond de l’Alabama, au cœur du « Dixieland », de la « Bible Belt », Boligee perçue par certains comme « une splendeur », traitée par d’autres de « bourbière », n’est qu’une toute petite bourgade d’environ 300 habitants, principalement noirs.
À vrai dire, ceux-ci occupent leur temps à remuer des histoires et l’église locale (Baptiste) est leur seule richesse et leur seule distraction.
Pour autant, si attachants que soient certains d’entre eux, nous sommes loin d’une peinture complaisante d’une négritude de bon aloi. Les personnages noirs n’ont en effet pas que des qualités ; si près de Dieu qu’ils soient ou voudraient l’être, ils peuvent se montrer cruels ou tout du moins égoïstes, ce qui leur coûtera très cher, nous l’apprendrons à la toute fin de la pièce; même Mother-Sister, la majestueuse âme des lieux, prédicatrice et guérisseuse, « œil de dieu » ouvert lorsque la lune le veut bien, peut se montrer très dure avec ses paroissiens, comme d’ailleurs avec son fils ou avec un étranger de passage.
Les blancs, quant à eux, ne sont pas que des ordures, mais surtout des minables et des traîne-misère, affreusement acculturés.
En tout cas, en cet été de 1996, il se passe des choses bien étranges dans ce monde en miniature. Les esprits des vivants sont portés à l’incandescence par la chaleur torride ; et terrorisés à l’idée que leur chère église soit la prochaine sur la liste des églises incendiées.
En plus, les mourants s’incrustent et les morts ne cessent de faire irruption dans le présent en quête de réconciliation avec le sort cruel qui fut souvent le leur.
À vrai dire, dans cette pièce où s’entrelacent mondes et histoires, quotidien et surnaturel, le passé et le présent se confondent au point qu’on se demande si le temps n’a pas décidé de rester englué dans la chaleur torride de ces étés orageux et tragiques qui pourraient sembler comme une préfiguration terrestre de l’enfer.
Au nombre de ses habitants aux prises avec l’au-delà, on peut par exemple citer :
JEREMIAH, le fossoyeur, qui a eu le malheur de déterrer une bible chantante (et avec elle toute une histoire soigneusement occultée) et qui périra par le feu en une longue agonie dansée.
BENNY, plongée dans le chagrin par la mort de sa mère et dont la voix est emportée par une hirondelle de remords.
BERNADETTE, la mère de Benny que l’on voit brièvement vivante, recevoir une balle en plein cœur, avant d’errer dans l’entre-deux-mondes du coma, et tenter désespérément de donner à ses proches un dernier cadeau de vie : « Je me coule à travers les arbres et je les fais chanter. Je suis ton ange gardien. Et voici mes ailes. »
Et surtout il y a Blacksmith, le séduisant Blacksmith, jadis pendu à un arbre et brûlé vif pour avoir aimé une blanche, et qui revient car il a entendu son fils hurler de désespoir dans la nuit de son âme. Sauveur déjanté, goguenard et déluré, en fait il a été envoyé de l’au-delà pour éteindre les incendies grâce à la beauté de son blues… porteur de vie et d’espoir, porteur de courage, triomphant fantôme de lui-même en même temps que réincarnation du mythique chanteur de blues du Mississipi : Robert Johnson dont il chante plusieurs chansons.