Sur les plages d’Espagne, les touristes se dorent au soleil. Et sur les plages d’Espagne, les immigrés clandestins viennent s’échouer, morts ou vifs. La confrontation des deux mondes est un révélateur des bassesses d’une société où chacun se cramponne à son bout de pouvoir, niant sa complicité dans le drame qui est en train de se jouer. Les listes des morts et des disparus s’enchaînent, lancinantes. « Et si un jour ils réapparaissaient ? Et si un jour ils réapparaissaient transformés en poissons pour aller combattre les hommes ? » Le cri de rage, alors, devient allégorie d’une société confrontée à ses peurs, à ses contradictions, et qui semble avoir perdu le sens du mot « humanité ».
Le thème de la pièce nous confronte brutalement à l’un des drames de notre société contemporaine : des centaines d’émigrés clandestins meurent chaque année en tentant de fuir la misère, en essayant de traverser le détroit de Gibraltar sur des embarcations pleines à craquer. L’intelligence d’Angélica Liddell consiste à traiter le sujet depuis l’autre bord : en nous livrant le point de vue de ceux qui voient – ou ne veulent pas voir – s’échouer sur les plages du sud de l’Espagne cadavres et corps agonisants. Comment dire l’innommable ? En prenant les mots à bras-le-corps, en les répétant pour en faire jaillir le sens, pour « transformer l’information en horreur ». S’ensuit un texte sans concession aux règles de la bienséance, qui transforme le fait divers en écriture de la souffrance et du dégoût.