Anna vit seule avec sa mère Renee. Elle n’est pas partie faire des études comme les autres filles de son âge. Vivienne, la psychiatre qui la suit depuis l’âge de onze ans, a mis au point un dosage très précis de médicaments pour maintenir son humeur au beau fixe. Au lendemain de ses dix-huit ans, Anna rencontre Oliver et décide de se mettre à écrire, mais les médicaments l’empêchent de créer. Elle arrête son traitement, au grand désespoir de sa mère, au grand désarroi d’Oliver. Anna retrouve aussi ses cahiers d’enfant, remplis d’histoires extraordinaires, et met en doute le diagnostic du médecin. Et si elle n’avait jamais été malade ? Et si elle n’avait jamais eu besoin de médicaments ? Vivienne et sa mère peinent à apporter des réponses claires à ses questions. Elles ne font que naviguer à vue dans les eaux troubles de la maladie mentale. Mais après des années d’accoutumance, Anna a du mal à fonctionner sans médicaments. Sa relation avec Olivier se dégrade et sa mère ne parvient plus à la contrôler, assistant impuissante à la lutte de sa fille pour savoir enfin qui elle est.
« Attention, malade ! », c’est ainsi qu’Anna, cette jeune femme hyper brillante et créative, se lit depuis l’enfance dans le regard des autres. Sa souffrance l’empêche pourtant d’être réceptive à celle de ses proches : celle d’Oliver, ce jeune homme blessé avec qui elle tentera en vain d’établir une relation amoureuse, celle de Renee, sa mère, qui paniquée et impuissante devant les symptômes de sa fille, s’enferme avec elle dans une relation étouffante de sur-protection et de dépendance mutuelle.
Tiraillée entre la mère et la fille, qui cherchent chacune à l’impliquer davantage dans leurs différends et à la confronter à ses responsabilités, Vivienne, la pédopsychiatre qui soigne Anna depuis sept ans, a du mal à leur imposer une juste distance thérapeutique.
Chacune, chacun, a ses raisons dans Jamais toujours parfois et Kendall Feaver se garde bien de porter sur ses personnages un regard trop idéalisé ou réducteur. Victime et bourreau, prodige de fantaisie et d’énergie, Anna est une sorte d’astre noir et brillant qui vampirise tous ceux qui l’approchent et désespère ceux qui tentent de l’aider.
Quatuor pour trois femmes et un homme, alliant une écriture parfois poétique à des dialogues souvent d’une extrême drôlerie, traitant d’un sujet si grave et jamais nommé, la bipolarité, la pièce évite la sentimentalité comme l’écueil de la démonstration didactique.
Comment aimer une jeune adulte en grande difficulté psychique, comment la protéger, sans confondre au passage notre propre besoin d’être rassuré et les vrais dangers qui la menacent, comment préserver la part vibrante de son être, anéantie par des traitements de plus en plus lourds, comment ne pas finir en désespoir de cause par réduire la malade à ses troubles et à l’enfermer dans ses symptômes, telles sont les questions que pose la pièce. C’est à une sorte, sinon d’éloge, du moins de réhabilitation du risque que se livre Kendall Feaver en s'efforçant de redonner à Anna un libre arbitre et un avenir possible.