Nour, une petite fille d’environ huit ans et son père Jakob, un intellectuel amoureux des mots et de la liberté, doivent fuir leur pays miné par la guerre (qu’on devine être la Syrie sans que cela soit dit), aux mains des « rats ». C’est comme cela que Jakob appelle les gens devenus fous de rage qui s’entretuent. Nous suivons leur voyage jusqu’à la « porte », c’est-à-dire l’entrée de l’Europe. Pour que Nour survive aux épreuves qui les attendent, Jakob lui dit qu’elle est une princesse et qu’ils se rendent dans le royaume où l’attendent ses sujets. Le lapin Lucien, ami, confident et conseiller imaginaire de Nour, les accompagnent et crée un lien complice avec le public. Ils rencontrent au fil du voyage des adjuvants et des opposants, manquent de périr en mer après avoir été arnaqué par un passeur présenté comme un âne de mer, et finalement se font humilier lors d’un entretien avec la « Reine de Glace », chargée du contrôle et de la régulation de l’immigration.
Finalement, Nour et Jakob reprennent la route, en quête d’un horizon plus clément.
Entre La Vie est belle, de Roberto Begnini, et Alice au pays des merveilles, Jasmins du désert est une pièce initiatique et fantastique bouleversante. C’est aussi le premier volet d’un diptyque, le deuxième volet suivant Nour devenue une jeune adulte, qui va refaire le voyage dans l’autre sens au moment de le mort de son père.
S’appuyant sur sa propre histoire, George Elias Tobal retrace le parcours tragique de Nour tout en finesse, avec autant d’humour que de sérieux et de sensibilité. Il rend ainsi visibles et accessibles les drames individuels et les destins brisés qui se cachent derrière la question de l’immigration (et les discours qui l’entourent). La forme et le ton employés rendent la pièce accessible à un jeune public (à partir de 8 ans), qu’elle sensibilise sans culpabilisation ni moralisation.
La pièce invite les metteurs en scène et les acteurs à s’en emparer librement, avec folie et fantaisie, et à se servir de la scène comme d’un exutoire explosif. Le personnage de Lucien le Lapin, notamment, est jubilatoire et se prête à des jeux endiablés : une sorte de bouffon shakespearien revu à la sauce Looney Toons. Il en va de même pour les jumeaux Ivan et Ivana, qui font immédiatement penser à Tweedle Dee et Tweedle Dum ou encore au chapelier fou...
Et à travers le personnage de Jakob, la poésie et la métaphore s’immiscent dans la pièce. Nous sommes invités à quitter le domaine froid de la raison pour entrer dans celui de l’imagination et de la rêverie, où tout est possible. Cela invite aussi à des trouvailles scénographiques et techniques.