ZILOV vit dans un microcosme de velléitaires qui se réfugient dans le rêve et la plaisanterie, succombent à de petits plaisirs médiocres, se livrent à de minces filouteries. ZILOV est comme les autres, sa seule passion est la chasse au canard. Quand le rideau se lève, il fait ses préparatifs. Quand il se baisse, il a abandonné son projet. Entre les deux, au milieu de lazzi, de saillies et de l'âpre délice de l'humour noir, les caractères se seront révélés, et le tableau d'une vie sans espoir aura été brossé. Tout en graissant sa carabine et en alimentant sa cartouchière, ZILOV remue quelques scrupules : il est allé jusqu'à rater l'avion qui l'emmenait aux funérailles de son père pour ne pas manquer
La critique s'est plu à souligner ce que le grotesque de cette pièce avait de gogolien : une couronne mortuaire pour un mort inexistant, un suicide auquel personne ne croit, et surtout pas le suicidé, la présence quasi diabolique du Garçon de café qui domine toutes les situations en manipulant cette arme essentielle du mal qui a, en Russie, le nom de cynisme avec, là-bas, une signification plus dure plus générale qu'en France et met fortement l'accent sur l'impudence, la mauvaise foi,
Devant un ZILOV livré à ses petites spéculations internes abondamment arrosées d'alcool, épaulé par des collègues presque aussi minables que lui, il y a les femmes : GALINA, son épouse, patience et sagesse mêmes, qui finira par le quitter ; IRINA, jeune fille totalement candide qu'il séduit ; VERA, petite nénette à la cuisse légère et la caboche calculatrice. Par contraste avec la veulerie des hommes, toutes trois semblent porter la clarté, l'indulgence de la "femme russe" chère à Dostoïevski.
Que ces considérations austères ne trompent pas : leur fond est présent en ombre portée dans la pièce, mais La Chasse aux canards est extrêmement drôle.