Jugé à Nuremberg, où il plaida coupable, le nazi Albert Speer, architecte d'Adolf Hitler, fut condamné à vingt ans de réclusion à la prison de Spandau. C'est là que nous le rejoignons, mis à nu par l'auteur australien, Daniel Keene. Loin d'être une biographie, la pièce plonge au plus profond d'une conscience vide de remords et tente d'explorer la folie d'un homme qui se déroba, jusqu'au bout, à la responsabilité de ses actes. Sans jamais franchir les murs de l'enceinte, Speer ne cesse de s'évader mentalement. Il marche dans le jardin, il marche, sans fin, et rallie les extrêmes du globe. Lorsqu'il discute avec ses compagnons, Hess, l'autre nazi, ou Casalis, pasteur aumônier, il déploie la même capacité à se soustraire à l'émotion. Mécanique fascinante que Daniel Keene observe et restitue en dialogues elliptiques, entrelacés de poèmes de Paul Celan, qui fut l'un des témoins essentiels de l'Holocauste. Le chant et le conte tracent, ainsi, à la lisière de l'histoire, un récit poétique.
Renaud Cojo, le metteur en scène en Avignon donne à entendre cette pièce comme un oratorio. Le monstre gît dans son mensonge. Pour ce metteur en scène, il ne fait aucun doute que la bête qui nous fait face, sur le plateau, est tapie, silencieuse, en chacun d'entre nous. Tout cela est affaire de conscience et le théâtre, en l'occurrence, est le plus s?r chemin menant vers la lucidité.