Écriture

  • Pays d'origine : Pologne
  • Titre original : Zażynki
  • Date d'écriture : 2012
  • Date de traduction : 2021

La pièce

  • Nombre de personnages :
    • 3 au total
    • 2 homme(s)
    • 1 femme(s)
  • Création :
    • Période : novembre 2012
    • Lieu : Teatr Polski (Poznań)
  • Domaine : protégé

Édition

Cette traduction n'est pas éditée mais vous pouvez la commander à la MAV

Résumé

Marysia a grandi dans un village polonais où l'Église catholique est omniprésente. À dix-sept ans, lors d'un camp d'été paroissial, elle tombe enceinte d'un prêtre. L'avortement étant illégal en Pologne, elle décide de chercher de l'aide auprès de Jan, un gynécologue originaire de son village, installé à Varsovie. Jan pratique des IVG clandestins, ce qui représente pour lui une source importante de revenus. Marysia connaît Jan depuis son enfance, elle jouait avec son fils Piotr, lequel est ensuite parti faire des études de droit à Londres. Jan accepte de faire avorter Marysia et lui propose de travailler comme secrétaire dans son cabinet. Elle devient rapidement sa compagne.
Quelques années plus tard, Piotr, le fils de Jan, invite Marysia à passer des vacances chez lui à Londres. Une relation se noue entre les deux jeunes gens et Marysia tombe de nouveau enceinte.
Le jour de l’Assomption, les trois personnages se retrouvent dans le village dont ils sont originaires, à l’occasion de l’anniversaire de Piotr. Jan semble au courant de la relation de son fils et de sa compagne. Quant à Marysia, elle doit une fois de plus prendre la décision de poursuivre ou d’interrompre sa grossesse.

Regard du traducteur

L'action de la pièce se déroule entre Londres, Varsovie et un village polonais régenté par l’Église.

Au niveau temporel, nous suivons les personnages à plusieurs moments de leur vie. Différentes lignes d'action s’entremêlent jusqu’à converger vers une seule journée, le 15 août 2010, fête de l'Assomption. Cette journée à connotation religieuse est également une fête païenne qui célèbre la récolte et l’abondance, ce qu’on retrouve dans le titre de la pièce ; ainsi, le culte de la Vierge Marie se superpose à celui de la fécondité.

La figure mariale surplombe par ailleurs l'ensemble de la pièce, symbolisant l'importance de la religion catholique et l'image de la femme qu'elle véhicule. Virginité et maternité sont les impératifs qui régissent la vie de la jeune Marysia dont tous les aspects sont contrôlés par l’Église.

L'importance de cette emprise sur la vie des femmes en Pologne et les choix politiques qui en résultent confèrent à la pièce de Wakulik une grande actualité. En effet, depuis 2007, la droite tente de restreindre toujours plus le droit à l'avortement, bien que la loi polonaise soit déjà la plus stricte d’Europe. Cette année encore, peu avant le début de la campagne électorale présidentielle, une loi interdisant l'avortement même en cas de malformation fœtale a été présentée à l'Assemblée, alors que la Pologne était en confinement et que toute manifestation était impossible. Les femmes ont alors manifesté depuis leurs fenêtres ou en transportant des banderoles en vélo à travers Varsovie.

Outre la question de l’avortement, les violences obstétricales et le modèle de société patriarcale (à travers le personnage de Jan) font résonner la pièce au-delà du « cas polonais ». Quelle alternative s’offre en effet à Marysia ? Sans réelle formation ni soutien familial, la jeune femme apparaît comme tributaire du désir des hommes, celui du prêtre, celui de Jan qui la domine à tous points de vue, celui de Piotr enfin, sorte de « fils à papa » immature et inconséquent. Le façonnement des esprits et la dépendance économique rendent son émancipation presque impossible.

Par ailleurs, la langue des personnages joue un rôle essentiel dans cette pièce. Marysia, Jan et Piotr dialoguent entre eux, mais se livrent également à des monologues intérieurs — chacun use alors d’une langue qui lui est propre. Marysia, par exemple, incarne le conflit entre tradition et monde contemporain : elle est croyante et son langage est marqué par sa foi. Cependant, après les événements difficiles qu’elle traverse, sa langue se décompose au fil de la pièce.

L'intrigue, simple au premier abord, est mise en écriture de façon formellement intéressante.

À l'intérieur d’une même scène et parfois dans le cadre d'une seule réplique, des sauts temporels ont lieu : les ruptures et la tension maîtrisée qui en résultent accentuent l’effet de convergence vers la journée du 15 août où l’existence de Marysia sera amenée à basculer.

Il n'y a que trois personnages, mais ceux-ci peuvent parfois endosser d’autres identités : ainsi, dans l’extrait traduit, Jan prête sa voix à la mère de Marysia (fragment épistolaire, scène 3). Cet effet de distanciation apporte non seulement du rythme mais également de l’humour, autre aspect important de la pièce. De fait, le sujet pouvait laisser craindre une certaine lourdeur dans son traitement, ce qui n’est pas le cas. L’écriture de Wakulik permet de ne pas réduire les personnages à des stéréotypes, les trois révélant, en très peu de mots, leurs failles et leurs contradictions (le personnage de Jan par exemple qui, par son athéisme, revendique une certaine ouverture d’esprit mais tient régulièrement des propos homophobes ou misogynes…).

Le montage entre passé et présent mais aussi le tissage entre langue ordinaire et référence biblique révèlent une habileté dans l’écriture qui fait de La Moisson une pièce « sur le fil », tragique par son propos, parfois comique dans son traitement. Sur la question de l’avortement se greffe une critique acerbe de l’Église et du fonctionnement traditionnel de la société (dès l’ouverture, on voit Marysia et Piotr sommés de réciter une comptine patriotique). Et ces différents thèmes, bien qu’ancrés fortement en Pologne, peuvent aisément s’élargir à d’autres contextes.