A Moscou, trois sœurs boivent de la vodka en rêvant d'amour et d'Amérique. Wiera aime un politicien véreux et marié ; Katia ne jure que par Pepsi, le tigre qu'elle nourrit dans un cirque et Tania est amoureuse d'un Seigneur de la mafia. Tout semble immuable. Pourtant, un jour, Katia rencontre un réalisateur américain en quête de jeunes prostituées pour son documentaire : les trois sœurs décident de déguiser Kola, un jeune orphelin recueilli par leur père, en Sonia Onichtchenco. C'est la "quatrième sœur" qui triomphera aux oscars. Mais l'épisode hollywoodien ne change rien : rentré chez lui, Kola reprend le balai.
Dans La Quatrième Sœur, Glowacki se moque avec un humour corrosif de la perception stéréotypée de l'Est par l'Ouest et, réciproquement, de l'Ouest par l'Est.
La référence aux Trois Sœurs incite le spectateur à repenser toute une mythologie littéraire du monde slave. Le folklore russe plein de mafieux et de vodkas, de Tchekhov et de Chagall, de Babouchkas et de misère côtoie ici les billets verts, Versace et Julia Roberts. La mafia est internationale et la vodka ne suffit plus qu'aux généraux à la retraite. L'univers occidental idéalisé et ressassé par les personnages de la pièce - l'Amérique avec ses Oscars, ses comédies romantiques, ses "américains qui ne peuvent pas mentir"- toute l'iconographie du succès sur papier glacé rêvé en quadrichromie par les trois sœurs version Glowacki, fait également figure de fantasme-baudruche. L'espérance messianique de ces cendrillons modernes dopées aux mélos ne résiste pas à la réalité. Ici, rien ne se passe comme on le croit : chaque moment d'euphorie se transforme en catastrophe et inversement. Le spectateur, à l'instar des personnages, se voit privé de toute certitude et dépossédé du confort d'une représentation univoque du monde.
Cet esprit iconoclaste suscite à la fois rire et malaise. Le rire, ambigu car suscité par une matière tragique, fait voler en éclat les lieux communs et tient seul lieu de discours. Les relations entre les personnages, empreintes d'une atmosphère souvent nostalgique et tchékhovienne, et le cynisme des situations qui les confrontent à une modernité mal maîtrisée, créent une tension tragi-comique perceptible tout au long de la pièce. Les extrêmes doivent ici coexister : la comédie amère et la tragédie la plus grotesque ; les marques les plus clinquantes de l'Occident et les signes immédiatement repérables d'une Russie traditionnelle.
Cette juxtaposition monstrueuse d'univers opposés, tout en donnant à la pièce une forte dimension métaphorique, la transporte dans un univers nouveau gagné par l'irrationnel et le loufoque.