Maria est une jeune femme qui vit dans la campagne environnante d’un village du sud de l’Italie avec sa famille, père, mère, grand-mère, sans oublier le frère, Simone, surnommé Jésus-Christ en raison de sa ressemblance avec ce dernier, ressemblance qui lui confère l’honneur de jouer le rôle du Christ lors de la Passion vivante du vendredi saint.
Un jour, Maria s’empare du pistolet Smith & Wesson 9 millimètres qui végète dans le buffet de la cuisine familiale, vérifie qu’il est chargé et quitte la maison, l’arme à la main. Elle marche en direction du village d’un pas sûr puis traverse le village vers une destination tout d’abord inconnue. On devine en elle la colère et la détermination mais à aucun moment Maria ne prendra la parole. Au fur et à mesure de son avancée, son objectif et sa destination se précisent : elle se rend chez Angelo le Couillon (les surnoms dans ce village-là ne sont pas le fruit du hasard), le jeune homme qui la veille lui a fait violence. La rumeur se propage, dans une ambiance western, comme dans un long plan séquence, Maria avance impéturbable croisant sur son chemin les figures majeures du village (hommes et femmes de tous âges) qui s’inquiètent de la détermination de la jeune fille armée. Il y a ceux qui l’encouragent, ceux qui veulent la dissuader, mais rien ni personne ne semble pouvoir l’arrêter, lui faire lâcher son arme, pas même sa famille, pas même les forces de l’ordre. Elle finit par entrer dans le magasin de meubles d’Angelo le Couillon. Face à lui qui lui parle, elle continue à se taire.
De l’extérieur, on entend un coup de feu.
Cette pièce constitue le dernier volet d’une trilogie intitulée « journal de province ». Écrite en 2015, elle a reçu 3 prix en Italie : Prix Rete Critica en 2016, Prix Hystrio de la critique en 2016 également et enfin, le Prix Mariangela Melato en 2017. La pièce créée en 2016 continue de tourner en Italie et a été notamment jouée cette année à Milan au Théâtre Elfo Puccini.
La pièce progresse à l’aune des enjambées de Maria et la trame se révèle au fil de son avancée et des diverses réactions des gens qu’elle croise sur son chemin. Pas après pas, le puzzle de l’histoire se reconstitue ce qui nourrit tout du long une tension dramaturgique qui nous tient en haleine jusqu’à la fin. En effet, jusqu’à la dernière ligne, l’auteur alimente le suspens quant à l’issue de la marche de cette femme à la reconquête de sa dignité. Lorsqu’elle entre dans le magasin de son violeur, celui-ci l’attend, lui parle, Maria ne répond pas. Quand il a fini de parler, du dehors on entend un seul coup de feu : que s’est-il passé ? L’auteur laisse ici le dernier mot, l’issue à l’imaginaire spectateur ou du metteur en scène qui s’emparera de la pièce : qui a tiré ? (elle, lui ?) sur qui ? (sur elle, sur lui) sur quoi ? (en l’air, sur un crucifix … ?), ce coup de feu est-il meurtrier, libératoire, est-il un acte de violence de plus dans l’histoire de l’humanité ou signe-t-il la volonté de mettre fin à la spirale infernale de la violence
La violence dans les rapports humains
Dans cette pièce, l’auteur s’interroge sur la violence inhérente à l’être humain, celle qui peut sommeiller en chacun de nous et, dans certaines circonstances, se réveiller. La violence, tout comme la force, peut se manifester si elle n’est plus canalisée et alors trouver une expression, parfois, à travers une victime toute désignée.
Dans la pièce, l’homme qui a fait violence à Maria, lui confesse lorsqu’elle est face à lui, au terme de sa grande traversée, qu’il voit clair, qu’il a compris ce qui l’a poussé à un tel acte de violence : la peur, l’envie de ne pas subir, l’impression à travers un tel acte de se sentir vivant (dans un monde qui a tendance à rendre apathique, la violence devient une ivresse qui réveille et pousse à commettre des actes répréhensibles voire criminels). Sans doute aussi, la sensation de répondre aux injonctions de la société d’être un homme viril. C’est par là-même la question du mythe de la virilité qui est abordé, mythe sur lequel certains considèrent que l’homme a théorisé l’infériorité de la femme mais aussi l’oppression de l’homme par l’homme. Ici, le « devoir de virilité » s’avère un fardeau pour le jeune homme qui finit par en être lui-même victime et par là-même coupable.
La traversée du village comme un voyage initiatique
La traversée par Maria du village sous le regard d’hommes et de femmes de tous âges peut se comprendre aussi comme son cheminement vers l’âge adulte, vers le monde des adultes.
En avançant sans faiblir, en affichant sa détermination, Maria surmonte les préjugés inhibiteurs que certains regards véhiculent. En surmontant ces regards, elles surmontent les préjugés, elle passe un cap, franchit des seuils comme si traverser le village était pour elle une sorte de voyage initiatique qui l’amène de la fin de l’enfance au monde des adultes.
Le corps, enjeu public et privé
Cette marche publique, aux yeux de tous, oblige ceux qui croisent Maria à prendre position à son égard et sur ce qui est arrivé et révèle aussi le contexte et le terreau émotionnels, culturels, politiques sur lesquels s’est construite la position que chacun manifeste.
En partant de la famille de Maria, de ses proches pour en arriver, peu à peu, aux habitants du village, le texte aborde un aspect de notre société actuelle, convaincue d’être progressiste alors qu’elle reste encore à de nombreux égards basée sur l’arrogance de la figure de l’homme viril et/ou du mâle dominant.
Dans la pièce, la jeune Maria, pour se réapproprier son corps, son intimité, sa dignité et son respect, est poussée à rendre tout cela public, à se donner littéralement en pâture à la foule (les habitants de son village), aux divagations de ceux qui croisent son chemin. Elle doit assumer son corps sexualisé par les hommes et la société contemporaine, ce corps qui est enjeu de pouvoir.