Les filles d’Anna ont quitté leur terre natale de Zélande, abandonnée de tous. Les jeunes femmes vont s’installer avec leurs maris respectifs dans le Michigan, sur les traces des premiers Zélandais partis en Amérique. La correspondance entre l’aînée des filles et leur mère débute vers 1933 et se poursuit jusqu’en 1953. Au fil des lettres, la voix d’Anna s’éteint peu à peu, tandis que celle de sa fille prend de la force et de la personnalité.
Les échanges entre la mère et sa fille s’étalent sur deux décennies et progressent de manière significative à mesure que le temps passe. Ils deviennent plus intimes et viennent renforcer le lien mère-fille.
Dans ses premières lettres, la fille partage son enthousiasme et ses découvertes, tandis que celle d’Anna sont empreintes de nostalgie et de mélancolie. Anna exprime le chagrin qu’elle éprouve après cette séparation et sa solitude nouvelle, qu’elle comble dans les tâches quotidiennes et le maintien de la ferme familiale.
Au fur et à mesure, la fille construit une réflexion plus profonde sur son existence de l’autre côté de l’Atlantique. Si elle partage volontiers ses réussites et s’affirme dans sa nouvelle vie, elle apparaît de plus en plus nostalgique et se remémore son enfance. Ses lettres montrent une certaine fierté sur ce qu’elle et son mari ont accompli mais expriment aussi son attachement à ses racines, à travers les nombreux souvenirs d’enfance qu’elle décline. Anna, elle, affronte avec une grande force de caractère les évènements qui traversent le pays : la guerre, l’arrivée des Allemands, le débarquement des Américains, mais surtout les inondations qui ravagent les terres de Zélande. Après la perte de son fils, Anna devient plus introspective. Sa voix s’éteint alors peu à peu, jusqu’à sa dernière lettre, où elle se résigne à faire ses adieux.
En choisissant la forme épistolaire, Marjolein Bierens s’empare d’un matériau puissant : les lettres permettent une intimité plus directe avec le public et rendent ainsi l’expérience théâtrale plus immersive. Servies par une langue éminemment poétique et une écriture d’une richesse indéniable, elles sont chargées d’une émotion profonde, révélant les conflits internes et externes qui traversent les personnages (la séparation, l’exil, les défis d’adaptation, le deuil). Ces tensions, combinées à l’alternance des voix, créent un dynamisme théâtral essentiel. La Terre au-delà de la mer offre une belle partition pour deux actrices, qu’on imagine volontiers cohabiter sur scène, jouant sur le toucher, le regard, pour donner corps à ces deux voix, surgies de part et d’autre de l’Atlantique.
Ce texte s’inscrit dans la continuité de la pièce Mooie Anna [La Belle Anna], écrite par l’autrice en 2010. Ce qui ne gêne en rien la compréhension du lecteur/spectateur, le drame épistolaire La Terre au-delà de la mer étant parfaitement autonome.