Hamid et Maryam sont afghans, ils ont grandi en Iran. Leurs parents y avaient migré au début de la longue série des guerres afghanes dans les années 80. Toute leur enfance ils ont été bercés par la poésie et la description des beautés de leur terre d’origine. Dans les années 2010, une fois mariés, ils décident de retourner en Afghanistan. Les Afghans exilés en Iran n’ont pas accès aux études, au monde du travail, à la propriété. Pour se déplacer d’une ville à l’autre, ils doivent obtenir une autorisation. Ils sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Ce retour semble essentiel à Hamid et Maryam pour offrir à leurs enfants la légitimité d’une terre dont eux, ont été privés.
Leurs familles respectives tentent de les en dissuader : les habitants de ce pays sont des loups, ils ont été transformés par les guerres successives ; leur humanité a été rongée par la violence, la vengeance et le pouvoir. Les règles ont changé.
Mais le couple ne peut entendre, convaincu de pouvoir construire dans ce pays tant rêvé. Il voyage par voie de terre pour voir enfin les paysages et rencontrer ses habitants. Tableau après tableau, Hamid et Maryam découvrent un pays moderne régi par le chaos. La violence semble être le seul garant de la vie.
La Valise vide est l’histoire d’un retour d’exil, il pourrait être aussi l’histoire d’un passage de l’enfance à l’âge adulte ; d’un temps à un autre, d’une peau à une autre.
La première fois que j’ai mis les pieds en Afghanistan, en 2003, deux ans après la chute des Talibans, je ne savais rien du pays. J’avais lu sur l’histoire du pays, j’avais rencontré des Afghans en France, lu des auteurs, des chercheurs, des poètes mais je ne savais rien. Malgré le bruit de la ville, un silence cimentait les mouvements. La ville respirait mais le souffle semblait absent. Il me fallut quinze ans pour entendre le souffle des êtres que des couches de silence recouvraient comme autant de masques.
Le pays est immense de générosité et de parfum ; ses montagnes nous rappellent l’humilité, les regards croisés offrent un sourire, les individus marchent droit, les corps sont comme hissés vers le ciel et libres, les regards plongés dans l’horizon et le temps se délite à l’infini. Tout semble possible ; un sourire comme un coup de poignard. Il me fallut quinze ans pour percevoir les traces des guerres successives – quarante ans de conflits - dans les comportements et les pensées ; la désillusion en l’homme, l’état d’alerte permanente, la peur, la méfiance, la distance, la rage de vivre. Tout réside dans l’honneur, à peine effleuré, le réflexe vital peut être cruel. Derrière chaque visage, un monstre peut surgir. La loi est celle du plus fort. La violence n’a pas de limite.
La pièce de Kaveh Ayreek, donne à sentir les couches multiples de silence, il nous donne à comprendre comment surgit la violence, comment la société afghane est aux prises d’une logique de pouvoir arbitraire. L’écriture n’invite pas aux sentiments, il n’y a pas de jugement. La pièce offre une lecture rare et inédite de ce silence si complexe.
Le pays que retrouvent les deux personnages de La Valise vide, Hamid et Maryam, est habité par des monstres. Ce pays qu’avait rêvé le couple pour leurs enfants n’est pas celui qu’ils imaginaient, celui-ci est mort. Hamid et Maryam vivent différemment cette mort. Il s’agit aussi de la mort des parts de leur être. Les deux s’effondrent ou une part d’eux s’effondre ou peut-être encore qu’une part d’eux se révèle ? Comment chacun se soulève-t-il ? Quel chemin les personnages choisissent-ils ? A quoi renoncent-t-ils ?
Le couple n’en sort pas indemne.
Ici, le pays est l’Afghanistan, la terre d’exil est l’Iran mais l’histoire pourrait se dérouler ailleurs, elle pourrait être celle d’un autre couple meurtri par une autre guerre, déchiré entre deux autres frontières. La migration croît tout près de chez nous en ce début de XXIème siècle. L’on parle de « risque migratoire » de « politique migratoire », de « lignes budgétaires migration » qui effacent le lien intime d’un individu à sa terre. Cette intimité parle à tous.