La pièce est une succession de tableaux où deux personnes, un père et une fille, dialoguent. Nous les suivons à différents moments de leur vie jusqu’à la mort du père. La fille qui au début n'est qu'une enfant, grandit, devient adulte, a elle-même des enfants. Le père, lui, vit en marge du monde, avec en permanence une bouteille d'alcool à portée de main et n’arrive pas à endosser le rôle de père que la société lui impose. Tous les deux ont vécu un drame : la mort du deuxième enfant du père.
Le titre original L’Ange blessé (Den sårade ängel) vient d’une toile du peintre symboliste finlandais Hugo Simberg. La peinture représente deux garçons portant un brancard avec un ange dont les yeux sont bandés et dont une aile est cassée. Cette fresque est l'une des œuvres les plus célèbres de Finlande.
Ici Sara Stridsberg s’intéresse à la notion de pardon, à l’impossibilité de pardonner et à passer à autre chose. Les deux personnages portent chacun une culpabilité. Tous les deux ont blessé un être, l’ont abandonné : le père a négligé son propre enfant et la fille aurait dû mieux le protéger du père. L’enfant mort devient cet ange abîmé par leur incapacité à dépasser leur propre vulnérabilité. Elle aborde le thème du pardon sans aucun sentimentalisme mais avec prudence et respect en peignant une grande fresque sur la relation chaotique entre ces deux êtres si fragiles.
Sara Stridsberg cite ici Jacques Derrida qui affirme que : « le pardon, s’il y en a, ne doit et ne peut pardonner que l’impardonnable, l’inexpiable – et donc faire l’impossible. »
Parce que seul l'impardonnable peut être pardonné, la question du pardon ne peut jamais être réglée, elle reste toujours en suspens, inachevée, une question et une blessure perpétuellement ouvertes.
Sara Stridsberg regarde avec une grande humanité ses personnages se démener avec la vie. Son écriture emprunte de violence et de poésie, part de la réalité la plus noire, des failles, de l’abandon, pour nous emmener dans un univers rêvé, qui peut aussi bien frôler le cauchemar que la transcendance.
« La chute m’intéresse. Et aussi ce qui naît après, quand on a tout perdu. Il y a quelque chose d’intéressant dans le fait de se trouver au bord de l’existence. Quand l’acuité de la vie se révèle, on découvre alors son essence. On éprouve les contrastes entre ombre et lumière, entre ordre et désordre. »
Inspirée par Marguerite Duras, Sara Kane, Elfriede Jelinek, Unica Zörn, Sara Stridsberg travaille sur les thèmes de la destruction et de l’aliénation dans la littérature.
« Une des raisons d’être de ma littérature est de faire naître le paradoxe. La littérature embrasse le monde entier et peut être un asile pour les indésirables et tous les marginaux du monde. »