Une visite « touristique » d’un camp de concentration quelque part en Europe centrale. On embarque pour un voyage dans le temps à l’époque de la Croatie nazie. Un camp de concentration où les fascistes croates adaptent à la « réalité locale » l’idéologie de la race pure (et purifiée. Puis le contexte politique change mais pas forcément les victimes. Et, de nouveau, changement de régime et on revient à la case départ. Une pièce qui s’interroge sur la violence, sur les régimes totalitaires, sur la manipulation faite au nom de Dieu, sur l’histoire qui se répète et s’interprète. Tous les personnages de la pièce ont existé. Comme matériau de base, Snajder s’inspire d’«Un camp de concentration sur la Save», journal tenu par Ilija Jakovljevic au cours de sa captivité dans le camp de concentration Jasenovac. D’ailleurs, le destin de cet intellectuel croate est pour le moins ironique. Membre du Parti Paysan Croate de Vladko Macek (parti politique de droite à orientation nationaliste dont le président est un des signataires d’un pacte avec Hitler en mars 1941), il est arrêté par les oustachis et emprisonné à Stara Gradiska, prison faisant partie du complexe concentrationnaire de Jasenovac. Relâché en 1943, il rejoint la résistance. Soupçonné d’avoir collaboré avec les oustachis, la police secrète de Tito l’arrête en 1948 et il se suicide à Glavnjaca, une prison de sinistre réputation à Belgrade.
Le passé qui refuse de passer Une visite guidée dans un camp de concentration quelque part en Europe centrale. Le guide propose un jeu de rôles… Les gens arrivent dans un hôtel aux allures étranges ; quelques remarques racistes, un discours inquiétant de l’aubergiste... Et, voilà que nous remontons le temps : nous nous trouvons en 1942 dans un camp de concentration croate. Pendant sa captivité, Ilija Jakovljevic, intellectuel croate, notait minutieusement la disparition de ceux dont le sort ne devait jamais être connu. S’inspirant de ces écrits autobiographiques, Slobodan Snajder, auteur contemporain croate, écrit une pièce qui témoigne des crimes horribles commis sur les populations « minoritaires », à savoir les Serbes, les Juifs, les Tziganes… Certes, il nomme les victimes et les bourreaux, mais surtout il explore l’origine et le mécanisme du Mal, son idéologie, sa psychologie. De quel droit un homme peut-il décider de la vie et de la mort d’un autre homme ? Comment peut-il s’approprier des « pouvoirs divins » ? Et comment, au nom de ce même Dieu, l’homme peut-il tuer sauvagement des milliers de ses semblables ? Et puis, comment parler de cette partie de l’histoire que la Croatie voudrait taire, mais dont la ressemblance avec la guerre fraîchement finie est frappante et inquiétante ? Par le cauchemar des tableaux, l’auteur essaie de comprendre le « cauchemar » du camp. Au travers des dialogues, construits comme un jeu du chat et de la souris, il nous met au cœur de cette ambiance inquiétante où l’incertitude et la peur font aussi partie de la torture quotidienne. De plus, les personnages ne sont pas figés dans un cliché « bourreau-victime ». Ils sont bel et bien humains… Et c’est justement ce qui inquiète. En renonçant à tomber dans le piège du réalisme, Snajder construit la pièce comme se construit un rêve. Les images se succèdent, effrayantes, inimaginables… On a peur, on n’y croit pas, on a des sueurs froides, on a envie de se réveiller… et de se dire que ce n’était qu’un égarement. Et pourtant… En homme de théâtre aguerri, Snajder sait que l’émotion vaut tous les discours et il met le spectateur dans une position inconfortable d’observateur, de témoin, de complice peut-être… Il réussit ce qui relève presque de l’impossible : nous faire ressentir ne serait-ce qu’une partie infime de l’horreur que vivaient au quotidien ceux qui y étaient emprisonnés. Une sensation pénible, mais nécessaire si l’on veut permettre au passé de passer… et de ne plus jamais resurgir. Ubavka Zaric P.S. Ecrire une pièce pareille en Croatie aujourd’hui relève d’un grand courage de l’intellectuel engagé qui pour le bien de son propre pays et au nom de l’Histoire dit et dénonce non seulement les crimes, mais surtout toute une idéologie profondément ancrée dans l’inconscient collectif qui permet que l’histoire se répète. D’ailleurs, lors de sa création à Zagreb, la critique théâtrale s’est efforcée de l’ignorer complètement et son auteur a perdu le poste de directeur d’un théâtre à Zagreb. Si un jour la Croatie trouve le courage de regarder en face son propre passé, comme l’Allemagne l’a fait, alors la pièce de Slobodan Snajder sera certainement une des plus grandes pièces croates.