La pièce suit le parcours de Bénet, une jeune médecin, au sein du centre psychiatrique Saint Michel, situé sur une île sans nom et dirigé par le docteur Garay.
Sous le prétexte d’un stage de fin d’études, Bénet enquête en réalité sur le sort de 12 républicains espagnols pendant la guerre civile de 1936-1939. Elle fait peser de lourds soupçons sur Garay, qu’elle accuse d’être responsable de leur disparition. Cependant, au fil de ses rencontres déconcertantes avec les patients du centre (une série de malades mentaux qui s’inventent une réalité fantasmée, mais quichottesque, au sens de l’imagination comme moyen de guérison), les certitudes de Bénet vont peu à peu s’étioler pour faire place à une autre version des faits, bien plus complexe et mettant à mal les interprétations trop simplistes et manichéennes de la protagoniste.
La déconstruction des certitudes de Bénet démantèle aussi celles du public. Par un processus d’identification à la protagoniste que nous suivons au fil de ses rencontres avec les patients du centre, le dramaturge nous amène à nous interroger sur nos représentations de l’histoire et sur notre rapport au passé.
La multiplication baroque des points de vue, la mise en scène de la porosité des frontières entre réalité et fiction, ainsi que la facture particulière de la pièce (Juan Mayorga s’appuie sur une dramaturgie de l’énigme qui opère un cryptage des différentes composantes de la structure dramatique - temps, espace, langage, action, personnages) sont autant d’éléments qui activent la réflexion du spectateur, lequel participe mentalement au déchiffrage de l’histoire de Saint Michel mais également, par un effet de parabole, à celui du processus historique en lui-même.
Cette dramaturgie de l’énigme s’inscrit dans un mouvement plus vaste de la production de Juan Mayorga qui est celui de la recherche d’une théâtralité elliptique, c’est-à-dire, une théâtralité qui, par la mise en tension de plusieurs éléments contradictoires, réussit à dialectiser le regard que peut porter le public sur l’œuvre théâtrale. En ce sens, El jardín quemado se construit in fine comme un très bel exercice dramaturgique autour des pièges de la mémoire et de la construction discursive de l’histoire. Dans cette pièce, le défi des traducteurs est celui d’une langue austère, laconique, toute en suggestions et en sous-entendus derrière son apparente simplicité.