1941. Quelque part en Lituanie. La période des grandes déportations vers la Sibérie bat son plein. Le père de Sylvie en est une des nombreuses victimes. Sylvie reste seule dans leur maison, en pleine campagne. Les deux protagonistes commencent à communiquer en pensée, et à s’écrire des lettres, qu’ils récitent. Le Père raconte sa vie dans le goulag et promet de revenir bientôt. En Sibérie, il rencontre Nastya, une belle russe qui vit avec son fils Lionya (le Petit) ; elle est la directrice du kolkhoze, et représente donc pour le père une chance de voir son sort s'améliorer. Peu à peu, il s’installe chez elle. Commencent alors des dialogues en russe (entre le Père et Nastya, ainsi qu'avec Lionya). Lionya part « chasser les Allemands ». Pour faire la guerre il doit passer par la Lituanie. Il rencontre Sylvie et se donne le droit de s’installer chez elle, une fois la guerre terminée). Sylvie, qui n'en finit pas d'attendre son père, accueille Lionya avec surprise, sincérité et crainte. Les dialogues « en pensée » s'entrecroisent entre Lionya et sa mère Nastya (en russe), Nastya et le Père (en russe « approximatif ») et Sylvie et son Père (en lituanien). Des différences de langues et de cultures naissent beaucoup de situations "hybrides", paradoxales. Finalement, les familles sont recomposées par l’histoire, et chacun s’installe, imagine-t-on, « pour la vie ». Cette période tragique de l’histoire de la Lituanie (et de la Russie soviétique ) n'est pas, dans cette pièce, vue sous l'angle du drame mais plutôt à travers une distance poétique et temporelle. Les deux familles sont « unies » par un motif récurrent : une chapka en fourrure que le Père laisse en Lituanie, dont il a besoin en Sibérie, qui sert de prétexte pour rencontrer Nastya, et dont il hérite (c’est la chapka de Lionya).
La pièce est encadrée par un monologue de Nastya adressé à son fils Lionya ; elle le gronde d’avoir dessiné, à l'école, une clôture alors qu’il fallait dessiner une maison. Lionya, enfant, a triché : comme il ne savait pas dessiner les maisons, il a pris une clôture comme point de vue. Lionya est le personnage qui donne son titre à la pièce - le Petit - ; il veut construire sa vie avec Sylvie, loin de sa patrie, mais là aussi il est obligé de tricher, contrairement au père de Sylvie qui, séparé de sa fille et de son pays, arrive à recréer une famille avec Nastya. Ce qui est touchant dans cette pièce, c’est la manière dont l’auteur raconte une période tragique de l’histoire – la tragédie de familles brisées par la guerre, les déportations, et qui transmettent, par de petits détails quotidiens, des touches poétiques, des anecdotes comiques, le pressentiment de la tragédie, les douleurs cachées, l’amour porté aux êtres chers. Ivaskevicius ne met pas de sel sur la plaie, comme dit un dicton russe, il n'insiste pas sur le drame, ne juge et ne menace personne. Il nous raconte cette histoire avec un sourire triste et poétique, et cela suffit pour que le spectateur éprouve une catharsis. Au-delà du drame historique, les personnages s'expriment par leurs sentiments et se comprennent malgré la barrière de la langue (qui est à l'origine d'un certain nombre de détails cocasses). Le regard de l'auteur passe par une distance dans le temps, dans les sentiments, et l'originalité de cette pièce est de traiter un sujet particulièrement douloureux sans glisser dans le pathos, le sentimentalisme, l’héroisation. C'est cela même qui rend ce drame plus proche de nous, humainement, et plus compréhensible, en dépit de son ancrage historique, des différences de génération et de culture. Dans le texte original, les dialogues sont en deux langues : le lituanien (Sylvie et le Père) et le russe (le Père / Nastya / Lionya). Dans la traduction, nous n’avons pas trouvé d’équivalent possible de ce bilinguisme, ni jugé nécessaire la transposition littérale de cette opposition. Cela n’enlève rien au contenu de la pièce, mais change un peu l’ambiance générale. Dans le style, nous avons gardé certains "russicismes" possibles en français pour donner une certaine "touche russe" au langage. Ce serait une belle question à résoudre pour un metteur en scène - peut-être en confiant les rôles à des comédiens parlant avec un accent russe, en soignant le décor, en privilégiant un certain univers sonore – par exemple par le son d'une radio (très présent dans la pièce)... Quoi qu’il en soit, l’authenticité factuelle n’est pas en jeu dans cette pièce qui, par sa force, dépasse la fameuse "barrière des langues".