Ce matin-là chez les Samsa il règne une certaine agitation : le Père, la Mère et Grete, la soeur de Grégoire, s’apprêtent à prendre leur petit-déjeuner mais Anna, la vieille bonne, est encore en retard et Grégoire ne s’est pas levé, en dépit des coups répétés frappés à sa porte. Anna arrive enfin. Sourde aux reproches qui lui sont faits, dans un flot de paroles elle s’active pour servir le petit-déjeuner. Les tentatives du Père, de la Mère, de Grete, et même du Fondé de pouvoir de la banque où travaille Grégoire, venu s’enquérir de la raison de ce retard inhabituel, restent vaines et pourtant, quelques légers bruits indéfinissables parviennent de la chambre. Soudain, la clé tourne, la porte s’ouvre : le Fondé de pouvoir, Grete et le Père hurlent, ils ont vu. Anna n’a rien vu, la Mère non plus, protégée par le Père.
Désormais, la lente transformation de Grégoire en insecte s’accomplit et lorsque Grete ne supporte plus de pénétrer dans la chambre de son frère pour lui apporter à manger, c’est la vieille bonne Anna qui s’en charge.
Grégoire ne travaillant plus, il faut s’organiser pour subvenir aux besoins de la famille : le Père se remet à travailler, Grete trouve un emploi de vendeuse et on loue une chambre à deux vieux pensionnaires grincheux et soupçonneux.
Au cours d’une soirée, le Père, la Mère, les deux pensionnaires sont réunis car on fête l’anniversaire de Grete, même son amoureux - le Jeune homme au violon - a été invité. Poussée par les convives et par Anna, Grete accepte de prendre son violon et de jouer un morceau. Anna a laissé la porte de Grégoire entrouverte pour qu’il puisse entendre sa sœur. Attiré par la musique, l’insecte sort et c’est la catastrophe. Les deux pensionnaires l’ont vu, ils sont scandalisés et quittent la maison en exigeant réparation, Grete semble basculer dans la folie. Le Père et la Mère expriment le désir de prendre des vacances. Grégoire finit par mourir, c’est Anna qui le trouve. Elle recueille ce qui reste de son corps, le met dans un sac et va le jeter à la poubelle en s’adressant à lui pour une dernière « conversation ».
« Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se retrouva dans son lit changé en un énorme cancrelat », c’est ainsi que le narrateur introduit le lecteur dans la Métamorphose. Plus avant dans le récit, le narrateur informera le lecteur des pensées de Gregor, de ses peurs, de ses difficultés croissantes à se mouvoir dans sa chambre transformée en débarras, des faits et gestes des autres personnages confrontés à cette métamorphose. Tous les éléments du récit de Kafka figurent dans la pièce de Chiti : la famille de Grégoire, le Fondé de pouvoir, les pensionnaires, la chambre devenue cagibi, la gravure de "la dame à la fourrure", la pomme lancée par le père sur Grégoire qui vient se ficher dans sa carapace, etc. Mais l’art de Chiti est de ne jamais montrer Grégoire, bien sûr, tout en laissant percevoir son omniprésence angoissante par ce qu’en disent et ce que jouent les autres personnages. La porte de la chambre de Grégoire est toujours visible, le spectateur, gagné par la claustrophobie, s’attend à ce qu’elle s’ouvre à tout moment, il entend des bruits qui attestent une présence et surtout, il entend les "conversations" d’Anna lorsqu’elle lui rend visite. Le personnage central de la pièce, c’est Anna, la vieille bonne à tout faire. Quand la mère pleurniche, que le père essaie l’autorité et tremble que le secret honteux ne soit découvert, que Grete reste sans force et baisse les bras, bref, face à la médiocrité et à la lâcheté générales, Anna prend la situation en mains et interagit avec tous les personnages. Elle entre dans la pénombre, apporte à manger à Grégoire, lui donne des nouvelles de la maison, le houspille. Anna a de la vitalité à revendre, la vie ne l’a pas gâtée, elle a beaucoup à raconter avec son franc-parler et le drame de Grégoire fait de lui une sorte d’alter ego, une oreille idéale en tout cas. Sa dernière "conversation", adressée à ce qui reste de Grégoire, nous fait entendre ce qui jusqu’alors n’avait été que suggéré dans des évocations corsées et hautes en couleur : un cœur et un corps de femme meurtris, une grande solitude.
Ugo Chiti écrit pour les comédiens de sa troupe L’Arca Azzurra, mais c’est Giuliana Lojodice, cinquante ans de théâtre, de cinéma et de télévision qui a incarné Anna avec un grand succès pendant 3 saisons théâtrales.