Les choix que vos grands-parents ont faits dans le passé vous influencent-ils aujourd’hui ? Imaginez-vous assis en face de votre père/mère et de votre grand-père/grand-mère alors qu’ils ont le même âge que vous. Quelles questions leur poseriez-vous ? Que voudriez-vous leur dire ? Qu’est-ce qui vous détermine et vous influence ?
Habiter le temps se déroule dans un espace unique (une maison de famille) à trois époques en même temps : 1913, 1968, 2014. Le destin de trois générations est raconté en parallèle et simultanément. À travers les dialogues, les événements et les époques, trois histoires se mêlent les unes aux autres et constituent une grande saga familiale. Des événements dramatiques ayant lieu en 1913 ont une influence sur 1968 mais également sur 2014.
En 1913 Kristin et Erik sont en pleine crise de couple et se disputent violemment, ce qui aboutit à un drame. Cet événement tragique aura des conséquences non seulement sur la vie de Stefan et Caroline en 1968, mais aussi sur celle de Myriam et Hannele en 2014.
Cette pièce est construite à la fois comme une grande saga familiale et un thriller psychologique où chacun donne progressivement à entendre sa propre version de la réalité. Des couples se déchirent, s’aiment, essayent d’entrer en contact. Les répliques fusent, traversent la pièce, se croisent, se font écho. Les mensonges des uns se répercutent sur ceux des autres. Le texte est habilement composé, comme un chœur polyphonique où chacun chante son désarroi.
Comment sommes-nous devenus la personne que nous sommes ? Héritons-nous nos facultés sociales, nos blessures, notre comportement des générations passées ? Nos ancêtres sont-ils la source de nos éventuels troubles psychologiques ou de nos comportements étranges ? L’histoire de notre famille fait-elle de nous ce que nous sommes ? Une mémoire consciente ou inconsciente, qui se transmet de génération en génération et constitue les fondations de notre personne ?
Rasmus Lindberg écrit ici une pièce existentialiste où il prend la famille comme centre de réflexion et où il s’amuse à nous jeter dans ses mystères. Cette saga familiale qui retrace plusieurs générations en même temps montre à quel point notre histoire familiale nous construit mais également comment nous la réécrivons nous-même, la réinventons. Ici, une grand-mère alcoolique se suicide, un grand-père est diabolisé, un père défiguré manipule une psychothérapeute qui deviendra la mère d'une femme se croyant incapable de créer des relations durables à cause de son passé. Au fil des générations, les destins des trois couples se font écho à travers leurs blessures, leur incapacité à vivre, leur culpabilité.
Rasmus Lindberg prend comme point de départ un drame familial mais le détourne en lui apposant une cadence de récit accélérée, sous la marque de la simultanéité et de la syncope : il brouille les pistes académiques des dialogues et bouscule la synchronisation du temps. Les répliques roulent comme des boules de flipper dans les trois histoires parallèles et se percutent par mots-clés. Comme à chaque fois chez Rasmus Lindberg, le temps n’est pas seulement une question métaphysique, il a aussi une place importante dans la construction même de la pièce.
Mais Rasmus Lindberg est également un auteur très musical qui construit des scènes où les voix des acteurs se superposent, comme dans une œuvre chorale. La même réplique peut se dire chez les différents couples, avec des significations et des intonations différentes, comme différentes tonalités de voix dans un même morceau de musique. Ici, tout est réglé au cordeau, ce qui oblige les acteurs à un travail d’une précision diabolique.