Ménélas est marié à Hélène, il semble tout juste revenir de la guerre de Troie qui est terminée. Beaucoup sont morts en héros, comme son frère Agamemnon, tandis que Ménélas est revenu, sain et sauf, roi de Sparte, attendu par la plus belle des femmes, Hélène. Tout devrait lui sourire, et pourtant Ménélas, sous cette apparente richesse, couve un mal profond. Celui que lui a légué Zeus : la raison, mère de tous les maux, dont il recherche vainement et désespérément la cause et l’origine, tout en délaissant sa femme, son pouvoir, ses amis, tout en laissant passer sa vie. Seule la guerre, autrement dit la mort potentielle, semble avoir pu donner un sens à l’existence de Ménélas, là où la paix le plonge dans le vertige de devoir faire face à la vie. Dans cette absence de guerre, un vide existentiel sans nom s’ouvre devant lui.
Dans cette pièce, Davide Carnevali défie à nouveau le temps et l’espace, jouant sur des anachronismes et des incohérences spatio-temporelles où se côtoient la Grèce antique et le monde contemporain. La mythologie grecque est donc ici habilement nouée à l’actualité et au monde d’aujourd’hui pour questionner les mécanismes du désir et son éternelle substance.
On retrouve ici le goût de l’auteur pour les origines : remonter aux origines du passé, la mythologie, pour comprendre le monde d’aujourd’hui. Ce que Freud a fait en créant la psychanalyse, Davide Carnevali l’applique à son théâtre, pour questionner l’apathie du monde contemporain, et en particulier celui du monde de l’argent, qu’incarne ici Ménélas.
Nous sommes à nouveau dans un univers à plusieurs dimensions, où le théâtre lui-même est mis en abyme, où le système des « poupées gigognes » génère à la fois de la magie, de la théâtralité, de l’humour, de la distance, mais aussi de la tragédie, puisque ce système est lui-même infini, comme l’intranquillité de l’immortalité même, que cherchent désespérément à recréer le capitalisme et le monde de l’argent. Un monde qui ne supporte pas les limites, la frustration, et qui ne peut donc trouver la félicité.
La langue de Carnevali, toujours travaillée au cordeau, participe, elle aussi, de l’intérêt de la pièce, de sa pluralité, de son goût de la rupture. Prose et poésie, prosaïsme et épique se côtoient, ne craignant jamais de choquer ou de caresser l’oreille à dessein, pour le plaisir de la langue, mais aussi pour dénoncer la vulgarité du monde, sa bassesse, et honorer sa grandeur, sans jamais trancher entre l’une et l’autre, sans jamais donner de conclusion moralisante.