Un homme revient dans son pays d’origine, la Serbie, après une longue et fructueuse absence qu’il a passée au Japon. Son frère, la femme du frère, leur nourrisson et sa mère l’y attendent. L’y attend aussi son ex compagne qu’il a quittée en partant et qui est sur le point de se marier avec le propriétaire du salon de coiffure dans lequel elle travaille. Pour l’homme rien n’a changé, sa mère l’accueille comme un fils prodigue, son frère lui envie sa liberté, son ex le hait, lui ne se sent plus appartenir à cette société mais quelque chose l’attache à toutes ces existences qu’il juge médiocres, d’un autre temps ou insuffisantes. Après s’être prouvé, presque malgré lui, qu’il était attendu, envié et aimé, il repart et emmène avec lui son frère, l’arrachant à ce qu’il ne peut pas considérer comme une vie heureuse.
Cette pièce parle du retour et de la difficulté qu’il peut y avoir à se rendre compte que l’endroit qui nous a vu naître et grandir n’est qu’une vulgaire version de ce que l’on imaginait pendant l’absence. Le texte de Grujic pose aussi la question du jugement que l’on porte sur autrui et sur la façon qu’il a de vivre sa vie. L’homme veut sauver son frère et y parvient uniquement parce que ce dernier ne sait pas ce qu’il veut. En le voyant séduire son ex compagne, le lecteur comprend que celui qui revient, comme souvent dans les personnages de fils prodigue, n’est pas heureux ailleurs et qu’il ne peut être heureux ici. Comme chez Lagarce, le personnage du fils ressemble à un animal blessé, atteint de maladies physiques ou psychiques. Le personnage a beau exprimer en paroles et en actes l’amour qu’il porte à ceux qu’il retrouve, le lecteur sent le retour à son entourage désormais naturel imminent et inéluctable.
Ce thème nous paraît très actuel dans un monde de migrations, entre les pays mais aussi dans un environnement social qui se veut davantage basé sur la méritocratie et tente de permettre également les migrations entre les classes. Complémentaire de la question de l’exil, on retrouve la notion du « transfuge de classe » qui est également présente dans le personnage principal. Il s’est absenté pendant dix ans et n’est pas très vieux lorsqu’il revient mais la césure entre lui et les siens est nette est irréparable.
L’une des principales forces du texte de Grujic est la forme. Bien qu’elle soit très poétique, les situations que l’auteur met en place et le rythme qu’il injecte aux dialogues en font une forme résolument théâtrale. À plusieurs endroits du texte, nous retrouvons une critique de l’état des choses du pays d’origine mais aussi une critique de l’état des choses dans le monde, du capitalisme, entre autres. Chacun des personnages sert à l’auteur comme porte-parole d’un milieu social, d’un peuple, d’une situation politique etc.
La pièce a été montée en 2021 à Atelje 212 à Belgrade (mise en scène d’Andjelka Nikolic).