Élisabeth reçoit de la part d’Arthur la proposition d’interpréter le personnage de Simone Weil. Elle a des réticences vis-à-vis de ce personnage, qui nie son corps, sa sexualité, qui est de surcroît deux fois plus jeune qu’elle. Arthur cherche à percer son armure intellectuelle, pour découvrir ses blessures, ses complexes et ses émotions. Il ne croit pas aux arguments d’Élisabeth, comme elle ne croit pas à sa vision du personnage. Une interview donnée par Arthur où il expose le projet, dégrade encore leur relation, les doutes se multiplient. Élisabeth se lance dans la lecture des textes de Weil. La peur cède à l’empathie, à la fascination, à l’identification. La répétition d’une scène avec un jeune homme mystérieux rêvé par Weil qui la conduit dans une maison, un jour de printemps, et lui offre, tel le Christ, du pain et du vin, éveille en elle un sentiment de proximité avec cet homme, semblable à celui qu’elle a avec Dieu. Pour Arthur, c’est un moment de faiblesse. Arrivent alors des personnages marginaux. Il s’agit là d’improvisations d’acteurs, décidées par Arthur, destinées à déstabiliser Élisabeth, à l’éloigner de la façon routinière qu’elle a de jouer. Élisabeth décide de se retirer du projet et reste seule dans la salle de répétition. Apparaît alors la vision de Simone. S’ensuit une conversation entre deux femmes qui souffrent, entre celle qui comprend tout et celle qui cherche à comprendre. Le mystère de l’amour divin et terrestre reste inexpliqué mais le chemin rempli de doutes et d’espoirs réussit à être surmonté par ces deux femmes.
Persona. Le corps de Simone est la troisième partie du triptyque Persona créé entre février 2009 et février 2010 par Krystian Lupa, après Factory2, autour de la figure d’Andy Warhol et Persona.Marylin, autour de celle de Marilyn Monroe. Avec le personnage de la philosophe Simone Weil (1909-1943), et les contradictions que soulève la question de son incarnation sur scène, Lupa s’attache à une figure exceptionnelle : une femme d’absolu, philosophe, mystique, engagée, portée par l’amour fou de l’humanité, qui a pu susciter l’admiration de personnalités aussi diverses que Cioran, Breton ou Camus. Mêlant fiction et réalité, à la fois imprégné de réflexions philosophiques et offrant des scènes caustiques, le texte de Lupa est fondamentalement nourri des improvisations des acteurs : les idées comme les mots ont pris naissance sur scène, les mots sont comme arrachés au vol aux acteurs. La parole met en jeu une réflexion active, en fabrique permanente. La langue de Lupa est délibérément déconstruite, morcelée, presque désordonnée et comme en suspens : il aime parler par allusions, de façon souvent détournée et ambiguë, avançant par associations d’images et d’idées. On y retrouve à l’œuvre le principe du monologue intérieur, qui caractérise son travail. Persona. Le corps de Simone est d’ailleurs aussi un témoignage particulièrement précieux, en actes et non théorique, sur la méthode et les principes de travail de Lupa : il s’est nourri à la fois de ses propres divergences avec une actrice, Maja Komorowska, censée endosser le rôle d’Élisabeth, au début du projet, mais aussi avec de jeunes metteurs en scène contemporains, souvent guidés par leur propre intuition plutôt que par la logique ou le savoir, ou avec des acteurs qui sont dans l’attente de directions et d'intentions trop précises et claires. Mais ce n’est bien sûr pas en tant que témoignage de ce travail que la pièce vaut : la tension dramatique, la figure exceptionnelle de Simone Weil, la confrontation d’une actrice à ce personnage et toutes les contradictions, les enjeux qui se tissent autour de celui-ci, donnent à ce texte une densité théâtrale exceptionnelle, et en fait un texte de théâtre d’une grande force, dont d’autres metteurs en scène et acteurs pourront se saisir et qu’ils pourront se réapproprier : une formidable matière à penser et à jouer.