Un matin, deux femmes se réveillent dans un camping. Elles se préparent, s’habillent et devisent de tout et de rien dans l’attente d’une visite importante – on ne connaîtra jamais exactement l’identité des visiteurs, si ce n’est qu’ils sont apparemment plusieurs et qu’il faudra absolument leur faire une bonne impression, « être présentables ». On peut voir là une sorte de pendant féminin et contemporain d’En attendant Godot. Plutôt que de vacancières, D et G ont plutôt l’air de s’être isolées, elles se sont mises à l’abri, loin du monde et des hommes… Les indications de temps laissent à penser qu’on est au début de l’automne : il fait encore bon, « ça va se rafraîchir », et elles parlent déjà de « passer l’hiver ». On peut donc s’imaginer que leur séjour en camping est à durée indéterminée. Elles-mêmes emploient à plusieurs reprises le terme de « réfugiées ». Il ne s’agit certes pas de réfugiées économiques ou politiques, mais plutôt des « réfugiées conjugales », reléguées aux marges de la société après avoir été soumises à des hommes violents.
La force de cette pièce se situe dans la concision du dialogue et le minimalisme des répliques, parfois monosyllabiques – notamment dans le cas de G qui répond souvent par « oui » et par « non ». Avec le moins de mots possibles, dans une langue ciselée et percutante, Magne van den Berg sait suggérer et révéler les drames, les souffrances, les regrets et les espoirs de ces femmes. La spécificité de ce dialogue se situe dans le contraste entre son ton a priori superficiel et sa violence sous-jacente. On a d’abord affaire à une conversation apparemment futile, tissée de ragots, de commérages, de lieux communs ressassés. Ce parti-pris est poussé de façon radicale puisqu’une moitié de la pièce tourne autour d’une question vestimentaire triviale : les deux femmes se demandent si elles doivent mettre une jupe ou un pantalon…. Mais pourtant la violence de ce qui est tu entre les lignes est sensible tout du long, et l’iceberg se révèle progressivement, jusqu’à surgir complètement dans les deux dernières pages où l’on apprend que G a échappé aux griffes de son tortionnaire, Martin, après avoir été battue pendant des années. Cette construction est remarquable, d’autant plus qu’elle-même s’enrichit des couches de non-dits et de suggestions multiples. On devine les combats et la violence intérieure de ces femmes, on voit le passé, l’affection qui les unit mais aussi les tensions et les ressentiments qui nourrissent leur relation et épaississent les silences. Un rapport de force s’installe aussi au fil des mots entre D et G. En voulant aider G à se défaire de ses traumatismes et à s’exprimer, D prend sur elle une emprise que le choix des mots et la construction du dialogue mettent en scène avec brio. Le dialogue reproduit certains mécanismes de la relation toxique sous couvert de parler de la violence conjugale : mise en abyme sans en avoir l’air. Cela confère à cette pièce, en apparence assez simple, une myriade d’interprétations et de sens possibles, pour celles et ceux qui souhaiteraient la lire et/ou s’en emparer scéniquement.