Nous sommes devant une société qui a « mis tout en conserve », dominée par les clichés, par les formules prêtes à penser, où chaque individu est conditionné, stérilisé par le vide. Le frère et la sœur refusent de se laisser enfermés, de se faire poser « un couvercle sur le cerveau », pour que l’air ne passe pas, pour que chacun se suffise à son existence mesquine.
Il n’y a pas d’histoire à raconter, une série d’anecdotes, d’énumérations de termes techniques, scientifiques, qui s’accumulent et tombent en rafales, parfois des citations, des règles de vie des « autres », ceux qui vivent dans des «boîtes de conserve», des règles mesquines, stupides, réductrices, auxquelles les jeunes s’opposent avec les seules armes dont ils peuvent disposer : l’humour, la provocation grossière, le refus de « respirer » même, de consommer et donc de continuer de vivre.
Nous sommes dans une société marquée par la pénurie, par la disette, les souvenirs de l’ère communiste sont encore vivaces, car ils ont marqué l’enfance de nos héros, et la rencontre avec la société de consommation est un choc : un monde d’affamés, d’obsédés par les images de la nourriture, des gens qui ont grandi « sans sucre », et qui s’enivrent maintenant dans un tourbillon de sensations, de goûts, d‘arômes, des produits alimentaires mais qui choisissent paradoxalement la grève de la faim, jusqu’au bout, jusqu’à la mort, comme seule sortie de la crise. Le final de ce délire à deux, autour de la privation, des nouvelles exigences du consumérisme, signifie donc le refus total, sans aucune concession, de cette société de consommation, une sorte de « grande bouffe » écoeurante et « merdique ».
Le style est direct, violent, un parler quotidien, sans aucun tabou ou fausse pudeur, sans tomber cependant dans la provocation gratuite ou la surenchère complaisante. Si ces jeunes parlent comme ils parlent, agissent comme ils agissent, c’est qu’ils sont sans aucun doute à l’image de cette société qui les a façonnés comme tels et contre laquelle ils se retournent avec les mêmes armes.
Ces deux textes de Nicoleta Esinencu (voir aussi Fuck you, Eu.ro.pa ! ) me semblent parfaitement complémentaires et pourraient faire ensemble l’objet d’un spectacle cohérent et fort.